André Breton

Nadja

France   1928

Genre de texte
roman

Contexte
Le rêve se trouve environ au tiers du roman.

L'auteur tente de cerner son identité à travers de menus faits de sa vie. Sa rencontre avec Nadja, pour lui un être purement libre, le bouleverse car il perçoit son incursion comme une nécessité secrète. L'auteur adopte un point de vue autobiographique en relatant des événements précis, souvent accompagnés de photos. La narration d'un rêve qu'il a fait constitue certainement un de ces menus faits.

Notes
Solange : personnage de la pièce les Détraquées de Pierre-L. Palau, dont Breton vient de rendre compte dans les pages précédentes, ayant vu la pièce crée pour le théâtre des Deux Masques (la pièce paraîtra dans le Surréalisme, même en 1956). Le rôle de Solange y était tenu, nous dit Breton, par Blanche Derval, dont il produit la photographie. Le ballon dont il est question est celui qu'une jeune écolière vient rechercher dans la pièce où se trouvent Solange et la directrice (« sa partenaire ») de l'établissement pour jeune filles. « Ce qui se passe » après la scène du ballon, c'est l'assassinat de la jeune fille, dont on trouve le cadavre à la fin de la pièce.

Freudien : Freud explique que plusieurs mécanismes participent à ce qu'il appelle le travail de la condensation dans le rêve, de sorte qu'à un contenu apparemment pauvre (le contenu manifeste) correspond très évidemment une grande richesse de pensée (le contenu latent). Avec l'omission ou l'ellipse son contraire, la surdétermination est l'un de ces mécanismes (recoupements ou regroupements de faits, personnes mixes ou collectives, etc.). Freud illustre le phénomène avec le premier rêve qu'il a étudié, celui de « L'injection faire à Irma » (l'Interprétation des rêves, trad. I. Meyerson, Paris, PUF, 1971, p. 253-256, notamment).

* Le titre de l'ouvrage de Nietzsche ne désigne évidemment pas ici l'Å“uvre en particulier, mais bien la pensée qui y prend forme et qu'on peut désigner sous le nom d'antimorale (comme dans antithèse et bien entendu « au-delà »).

Texte témoin
André Breton, Nadja, Paris, Gallimard, 1928, p. 57-62.

Édition originale
André Breton, Nadja, Paris, Gallimard, 1928.

Édition critique
André Breton, « Nadja », Œuvres complètes, tome 1, éd. Marguerite Bonnet, Paris, Gallimard (coll. « Bibliothèque de la pléiade »), 1988, p. 673-675.

Bibliographie
Alexandrian, Sarane, le Surréalisme et le rêve, Paris, Gallimard, 1974, p. 257.




Sur un rêve

De la production des images du rêve

(En finissant hier soir de conter ce qui précède, je m'abandonnais encore aux conjectures qui pour moi ont été de mise chaque fois que j'ai revu cette pièce, c'est-à-dire deux ou trois fois, ou que je me la suis moi-même représentée. Le manque d'indices suffisants sur ce qui se passe après la chute du ballon, sur ce dont Solange* et sa partenaire peuvent exactement être la proie pour devenir ces superbes bêtes de proie, demeure par excellence ce qui me confond. En m'éveillant ce matin j'avais plus de peine que de coutume à me débarrasser d'un rêve assez infâme que je n'éprouve pas le besoin de transcrire ici, parce qu'il procède pour une grande part de conversations que j'ai eues hier, tout à fait extérieurement à ce sujet. Ce rêve m'a paru intéressant dans la mesure où il était symptomatique de la répercussion que de tels souvenirs, pour peu qu'on s'y adonne avec violence, peuvent avoir sur le cours de la pensée. Il est remarquable, d'abord, d'observer que le rêve dont il s'agit n'accusait que le côté pénible, répugnant, voire atroce, des considérations auxquelles je m'étais livré, qu'il dérobait avec soin tout ce qui de semblables considérations fait pour moi le prix fabuleux, comme d'un extrait d'ambre ou de rose au-delà tous les siècles. D'autre part, il faut bien avouer que si je m'éveille, voyant avec une extrême lucidité ce qui en dernier lieu vient de se passer : un insecte couleur mousse, d'une cinquantaine de centimètres, qui s'est substitué à un vieillard, vient de se diriger vers une sorte d'appareil automatique, il a glissé un sou dans la fente, au lieu de deux, ce qui m'a paru constituer une fraude particulièrement répréhensible, au point que, comme par mégarde, je l'ai frappé d'un coup de canne et l'ai senti me tomber sur la tête -- j'ai eu le temps d'apercevoir les boules de ses yeux briller sur le bord de mon chapeau, puis j'ai étouffé et c'est à grand-peine qu'on m'a retiré de la gorge deux de ses grandes pattes velues tandis que j'éprouvais un dégoût inexprimable, -- il est clair que, superficiellement, ceci est surtout en relation avec le fait qu'au plafond de la loggia où je me suis tenu ces derniers jours se trouve un nid, autour duquel tourne un oiseau que ma présence effarouche un peu, chaque fois que des champs il rapporte en criant quelque chose comme une grosse sauterelle verte, mais il est indiscutable qu'à la transposition, qu'à l'intense fixation, qu'au passage autrement inexplicable d'une image de ce genre du plan de la remarque sans intérêt au plan émotif concourent au premier chef l'évocation de certains épisodes des Détraquées et le retour à ces conjectures dont je parlais. La production des images de rêve dépendant toujours au moins de ce double jeu de glaces, il y a là l'indication du rôle très spécial, sans doute éminemment révélateur, au plus haut degré « surdéterminant » au sens freudien *, que sont appelées à jouer certaines impressions très fortes, nullement contaminables de moralité, vraiment ressenties « par-delà le bien et le mal »* dans le rêve et, par suite, dans ce qu'on lui oppose très artificiellement sous le nom de réalité.)

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