Charles Nodier

Trilby

France   1822

Genre de texte
Conte

Contexte
Trilby est un lutin écossais, une sorte d’elfe ou de feu follet. Il est amoureux de Jeannie, une batelière, et quand celle-ci est endormie, il lui glisse des mots à l’oreille. Inquiète, Jeannie se confie à son mari. Celui-ci la décide à demander à un vieux moine d’exorciser leur maison. Trilby est contraint de s’enfuir, non sans que cela suscite un vif regret au coeur de Jeannie.




Elle rêve du lutin Trilby

Le portrait rêvé

Préoccupé de ces idées, Jeannie se livrait au sommeil bien plus tard que d’habitude, et ne goûtait pas le sommeil même, sans passer de l’agitation d’une veille inquiète à des inquiétudes nouvelles. Trilby ne se présentait plus dans ses rêves sous la forme fantastique du nain gracieux du foyer. A cet enfant capricieux avait succédé un adolescent aux cheveux blonds, dont la taille svelte et pleine d’élégance le disputait en souplesse aux joncs élancés des rivages ; c’étaient les traits fins et doux du follet, mais développés dans les formes imposantes du chef du clan des Mac-Farlane, quand il gravit le Cobler en brandissant l’arc redoutable du chasseur, ou quand il s’égare dans les boulingrins d’Argail, en faisant retentir d’espace en espace les cordes de la harpe écossaise ; et tel devait être le dernier de ces illustres seigneurs, lorsqu’il disparut tout à coup de son château après avoir subi l’anathème des saints religieux de Balva, pour s’être refusé au paiement d’un ancien tribut envers le monastère. Seulement les regards de Trilby n’avaient plus l’expression franche, la confiance ingénue du bonheur. Le sourire d’une candeur étourdie ne volait plus sur ses lèvres. Il considérait Jeannie d’un œil attristé, soupirait amèrement, et ramenait sur son front les boucles de ses cheveux, ou l’enveloppait des longs replis de son manteau ; puis se perdait dans les vagues ombres de la nuit. Le cœur de Jeannie était pur, mais elle souffrait de l’idée qu’elle était la seule cause des malheurs d’une créature charmante qui ne l’avait jamais offensée, et dont elle avait trop vite redouté la naïve tendresse. Elle s’imaginait, dans l’erreur involontaire des songes, qu’elle criait au follet de revenir, et que pénétré de reconnaissance, il s’élançait à ses pieds et les couvrait de baisers et de larmes. Puis en le regardant sous sa nouvelle forme, elle comprenait qu’elle ne pouvait plus prendre à lui qu’un intérêt coupable, et déplorait son exil sans oser désirer son retour.

Ainsi se passaient les nuits de Jeannie, depuis le départ du lutin

[Jeannie et son mari Dougal vont assister à une cérémonie au monastère. Ils s’arrêtent devant une galerie de tableaux.]

- Cependant, dit Jeannie [au moine], la dernière de ces places paraît occupée... Voilà un portrait au fond de cette galerie, et si ce n’était le voile qui le couvre...

- Je vous disais, Dougal, reprit le moine, sans prêter d’attention à l’observation de Jeannie, que ce portrait est celui de Magnus Mac-Farlane, et que tous ses descendants sont voués à la malédiction éternelle.

[...]

A peine la foule se fut écoulée hors de la salle, que Jeannie, frémissant d’impatience, et peut-être aussi préoccupée malgré elle d’un autre sentiment, s’élança vers le tableau voilé, arracha le rideau qui le couvrait, et reconnut d’un regard tous les traits qu’elle avait rêvés. – C’était lui.- C’était la physionomie connue, les vêtements, les armes, l’écusson, le nom même des Mac-Farlane. Le peintre gothique avait tracé au-dessous du portrait, selon l’usage de son temps, le nom de l’homme qui y était représenté :

JOHN TRILBY MAC-FARLANE.

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