Jacques Ferron

Les confitures de coings

Québec   1972

Genre de texte
récits

Contexte
Ce récit de rêve se trouve à la fin du premier chapitre.

François Ménard, un employé de banque consciencieux, ressent avec une certaine tristesse la distance qui existe entre lui et sa femme Marguerite dont il emprunte l’âme, n’en ayant plus lui-même.

Texte témoin
Les confitures de coings et autres textes<1i>, suivi de Le journal des confitures de coings, Montréal, Éditions Parti pris, 1977, p. 31-32.

Édition originale
Les confitures de coings et autres textes, Montréal, Éditions Parti pris, 1972.

Les confitures de coings et autres textes constituent une version remaniée de La nuit, Montréal, Parti pris, 1965.




Le rêve de François Ménard

Un visage de jeune fille

Je me tournai vers ma femme pour me blottir humblement contre elle, comme à l’accoutumée. «Auparavant, me dis-je, il faudrait décrocher le téléphone.» J’avais les bras pesants, je n’en fis rien. Mes idées se brouillaient, puis des figures de rêves tentèrent en vain de m’avertir que j’avais fini par me rendormir... Ma femme qui se nomme Marguerite comme au temps de nos fiançailles, ma femme tourne vers moi son visage de jeune fille :

— Regarde enfin ce visage que tu n’as pas vu.

Sa voix est douce, voisine de la plainte, parente des gémissements d’amour, ceux-là mêmes qu’elle n’a jamais proférés.

— Regarde, mais regarde-moi donc!

Quelqu’un derrière moi m’a saisi et m’aveugle de ses mains.

— Marguerite! Marguerite! où es-tu?

— Je suis ici, là tout contre toi.

Son haleine vient au-devant de sa voix. C’est vrai que je n’ai jamais vu son visage de jeune fille. Je tente de m’arracher au bandeau ; je me débats, je lutte, je me réveille tout en sueur : le téléphone sonne dans la cuisine. Ô Marguerite, ce n’est plus toi qui m’appelles!

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