Abdoulaye Sadji

Maïmouna

Sénégal   1958

Genre de texte
Roman

Contexte
Après avoir longtemps insisté, Rihanna et son mari Bounama ont finalement obtenu de sa mère Yaye Daro que Maïmouna quitte le village de Louga pour les rejoindre à Dakar. Une fois en ville, Maïmouna, grâce aux soins esthétiques de sa sœur Rihanna, devient rapidement l’objet de toutes les convoitises de la part des hommes.

Ce rêve survient vers la fin du roman (chapitre 17), alors que Bounama et son épouse pensent de plus en plus au prestige qu’ils tireront du mariage de Maïmouna avec Galaye Kane, le riche bourgeois qu’ils lui ont choisi. Ce rêve laisse deviner que cette ambition ne se réalisera pas et que Maïmouna, enceinte, sera renvoyée au village.

Texte témoin
Paris, Présence africaine, 1988, p. 176-177.




Rêve de Bounana

Il parle en dormant

Il y eut brusquement une coordination dans ses pensées ; elles convergeaient maintenant vers le même pôle ; l’état de santé de Maïmouna et surtout son avenir, son mariage…

Avantageuse fut alors l’idée qu’elle en eut. Elle se représentait ce mariage avec tout le faste imaginable… Dakar connaîtrait une agitation fiévreuse. Des taxis splendides viendraient de tous les points de la ville chargés du monde élégant, des aristocrates du cru [...] Rihanna, possédée par l’insomnie, voyait tout cela s’accomplir comme dans la réalité. A côté d’elle son homme dormait, le corps moite de sueur, la respiration bruyante. [...]

Mais la nuit lui semblait longue et plus longue encore l’attente du jour glorieux qui concrétiserait son rêve…

Et tout à coup Bounama se mit à parler et à rire. Il avait la mauvaise habitude de parler en dormant. La femme écouta ; les paroles issues des rêves exercent une curieuse fascination ; ailleurs, dans un autre monde, l’homme disait : «Croyez-vous, Jeanne ? Mais non, mais non, Maïmouna ne peut pas être en état de grossesse… Non Jeanne… Impossible… Elle n’est pas mariée. Il y a erreur.»

Il se tut, mâchonna quelques autres paroles, inintelligibles, celles-là.

Rihanna, qui voulait en savoir plus long, prêtait une attention désespérée à ces divagations. Mais l’homme, ayant poussé un long soupir, se coucha sur le côté ; sa respiration se fit moins bruyante et il s’endormit tout à fait, pesamment.

Trop et trop peu de paroles. Assez, toutefois, hélas, pour deviner, pour comprendre l’impensable. Insupportable révélation que confirmait à la réflexion le comportement ambigu de Maïmouna, de Bounama et même de la sage-femme. Tout conspirait, cette nuit, à abattre la pauvre Rihanna.

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