Nicolas Rétif de la Bretonne

La Paysane Pervertie

France   1784

Genre de texte
roman

Contexte
Le rêve se trouve dans la huitième et dernière partie du roman, dans la lettre 165 datée du 25 décembre, à 5 heures du soir.

Pour se tirer d’ennuis et s’excuser à Edmond, Laure, ancienne amante de ce dernier, lui raconte un mensonge selon lequel Ursule, la sœur d’Edmond, vivrait toujours dans le vice. Rongée par les remords, Laure confie ses craintes à Obscurophile, une compagne de libertinage. Elle lui raconte ces songes qui s’avéreront prémonitoires, car Edmond assassinera Ursule par honte de savoir qu’elle vit dans la débauche.

Texte original

Texte témoin
La Haie, Paris, Vve Duchesne, 1784, p. 234 -235. BNF. Gallica.




Les rêves de Laure

Des événements dramatiques

Lettre 165.

5 heures du soir.

Laure, à Obscurophile.

(après avoir-calomnié Ursule, pour s’excuser à Edmond, elle en est effrayée, et elle exprime ses craintes à sa compagne de libertinage.)

je te fais des excuses, ma chère amie, de la manière dont tu viens d’être traitée chez moi, et je te prie en-grâce de venir souper. Je suis dans une situation qui m’épouvante! Edmond m’a bouleversé le sang; je ne sais ce que je fais. Tout à- l’heure j’ai pris un livre, j’ai voulu lire; j’ai vu, je crois, et voici que j’ai lu écrit en traits de feu sur la page ouverte : Laure! Ma cousine! pourquoi me fais-tu poignarder? Que t’ai-je fait! Dis-le moi, toi ma parente, autrefois mon amie? je me suis frotté les yeux, et je n’ai plus rien vu de ce que je venais de lire. C’est une illusion! Me suis-dit à moi-même. J’ai tenu le livre fermé, le doigt à l’endroit où j’en étais, et je me suis chaussée; j’éprouvais un frisson, comme lorsqu’on a la fièvre. Je me suis-assoupie. J’avais à-peine fermé les yeux, que j’ai cru voir Edmond, couvert de sang, l’air furibond, qui me disait : tu l’as accusée! Elle est-jugée, condamnée, poignardée! Je suis le bourreau! je me suis-éveillée. Un songe! Un rêve! Me suis-je dit! J’ai voulu lire. J’étais à la seconde ligne, quand on a frappé rudement trois coups à ma porte. Alceste y a-couru. Il n’y avait personne. Elle est remontée en murmurant contre ceux qui avaient frappé. Ce n’est personne, madame.

Comme elle achevait ces mots, nous avons entendu sous nos fenêtres un cri douloureux, et qui ressemblait au hurlement d’une bête féroce, plutôt qu’à la voix d’une créature humaine. J’ai tressailli. J’ai fait ouvrir la croisée, et Alceste a vu, ou cru voir Edmond. Je suis fâchée de n’y avoir pas été moi-même. Je me suis assoupie de nouveau, ne pouvant ni lire, ni m’occuper : j’aurais désiré une visite, comme la fortune, en d’autres circonstances. Personne n’est venu.

C’est en ce moment, que j’ai fait le rêve le plus affreux : c’était ma cousine se débattant entre les mains de son frère, qui lui donnait mille coups de poignard. Elle m’a vue; elle m’a tendu les bras, en m’appelant à son secours. Edmond m’a regardée d’un air furieux : n’approche pas! (me disait-il avec un geste menaçant). Tandis que j’étais remplie d’épouvante, ce n’a plus été Ursule que j’ai vue, mais une génisse blanche, dont les yeux versaient des larmes : je me suis réjouie de ce que ce n’était plus Ursule : mais dans cet instant, un cri terrible m’a éveillée en sursaut, et j’ai vu Alceste devant moi, qui m’a dit : madame, il vous arrivera quelque malheur; deux gouttes de sang viennent de tomber sur vous du plancher : ce qui m’a causé tant d’effroi, que je me suis écriée. Je me suis presque évanouie à ce récit. Je n’ai pas voulu voir le sang; mais je l’ai fait essuyer par Alceste. Elle m’a laissée un instant, et il m’a pris une faiblesse. Je l’ai sonnée. Elle est-accourue : madame le malheur est passé; car le petit commissionnaire vient de voir une dame, qu’un voleur a assassinée : c’était elle que ça regardait : car, madame, tous les malheurs sont annoncés, si on y prenait garde! Et si on tirait les cartes, on verrait tout ce qui doit arriver.

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