Émile Erckmann

Romans populaires

France   1865

Genre de texte
Recueil de textes

Contexte
Le narrateur voit apparaître l’âme de son ami Van Marius qui lui demande de le venger et de récupérer son dernier tableau, ce que le narrateur fera.

Texte témoin
Romans nationaux, vol. 2, Paris, J. Hetzel, 1865, p. 29-30.




La pêche miraculeuse

Le coq noir

« Mais voilà qu’une heure après, Brigitte, la ravaudeuse en face, allume ses rideaux. Elle crie : « Au feu ! » J’entends courir dans la rue, j’ouvre les yeux, et qu’est-ce que je vois ? Un grand coq noir perché sur un chevalet au beau milieu de mon atelier.
« En moins d’une seconde, les rideaux de la vieille folle avaient flambé, puis s’étaient éteints d’eux-mêmes. Tout le monde s’en allait en riant... Mais le coq noir restait toujours à sa place, et comme la lune brillait entre les tours de l’hôtel de ville, ce singulier animal m’apparaissait on ne peut mieux. Il avait de grands yeux jaunes cerclés de rouge, et se grattait la tête du bout de la patte, « Je l’observais depuis au moins dix minutes, me demandant par où cet animal bizarre avait pu se glisser dans mon atelier, lorsque, relevant la tête, le voilà qui me dit :
« Comment, Cappelmans, tu ne me reconnais pas ? Je suis pourtant l’âme de ton ami Van Marius ! « â€” L’âme de Van Marius ! m’écriai-je. Van Marius est donc mort ?
« â€” Oui, répondit-il d’un air mélancolique, c’est fini, mon pauvre vieux. J’ai voulu jouer la grande partie contre Hérode Van Gambrinus ; nous avons bu deux jours et deux nuits sans désemparer. Le matin du troisième jour, comme la vieille Judith éteignait les chandelles, j’ai roulé sous la table ! Maintenant, mon corps repose sur la colline d’Osterhaffen, en face de la mer, et je suis à la recherche d’un nouvel organisme... Mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit : je viens te demander un service, Cappelmans !
« â€” Un service ! Parle.... Tout ce qu’un homme peut faire, je le ferai pour toi !
« â€” À la bonne heure ! reprit-il, à la bonne heure ! j’étais sûr que tu ne me refuserais pas.
Eh bien donc, voici la chose. Tu sauras, Andreusse, que j’étais allé à l’Anse des Harengs, tout exprès pour finir la Pêche miraculeuse. Malheureusement, la mort m’a pris avant que j’aie pu mettre la dernière main à cet ouvrage... Gambrinus l’a suspendu comme un trophée, au fond de sa taverne : cela me remplit d’amertume... Je ne serai content que lorsqu’il sera terminé, et je viens te prier de le finir. Tu me promets, n’est-ce pas, Cappelmans ?
« â€” Sois tranquille, Jan, c’est une affaire entendue.
« â€” Alors bonsoir ! »
« Et là-dessus, mon coq bat de l’aile et traverse l’une de mes vitres, avec un bruit sec, sans faire le moindre éclat. »

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