André Chénier

Élégies

France   1794

Genre de texte
poésie

Contexte
Dans cette section du recueil intitulée « Les amours, amours diverses », Chénier raconte plusieurs brèves histoires d’amour dont celle-ci qui parle d’un songe.

Texte témoin
Œuvres complètes, Édité par Dimoff, T.3. Paris, Delagrave, 1919, p. 99-101.




Rêves de poète

Je rêve toujours

Et dormant ou veillant, moi je rêve toujours. Je dors. Mon esprit veille et poursuit son vol infat. Tantôt il va fouler d’un pied fantastique l’herbe et les fleurs... tantôt il gravit la montagne, ou il traverse une forêt sombre et frémit de terreur en en mesurant la longue obscurité et s’inquiète de n’apercevoir sur le sable les traces d’aucun voyageur... tout à coup, emporté par un torrent écumeux, il roule avec lui de précipice en précipice au milieu des rochers; de là il est jeté dans une mer tumultueuse, il nage, il lutte contre ses vagues... des monstres, les requins dévorants et les vastes baleines, accourent autour de lui. Pour les fuir, il agite ses bras et ses pieds avec plus de force. Au milieu de ce travail, je me réveille trempé de sueurs; et mon coeur palpite encore du long effroi de ces monstres que j’ai vus en songe. Je dors; mais mon coeur veille, il est toujours à toi. Je te tiens, je sens ton sein, ta bouche, ta joue sous mes baisers..., ta peau voluptueuse... sous ma main chatouilleuse... mais bientôt des transports ennemis de la paix du sommeil me réveillent en sursaut et je trouve ma bouche collée sur l’oreiller que je presse dans mes bras. Car mes bras, doucement abusés par le songe, pressaient l’oreiller en croyant te presser toi-même.

Je dors, mais mon coeur veille; il est toujours à toi.
Un songe aux ailes d’or te descend près de moi.
Ton coeur bat sur le mien. Sous ma main chatouilleuse
tressaille et s’arrondit ta peau voluptueuse.
Des transports ennemis de la paix du sommeil
m’agitent tout à coup en un soudain réveil;
et seul, je trouve alors que ma bouche enflammée
crut, baisant l’oreiller, baiser ta bouche aimée;
et que mes bras, en songe allant te caresser,
ne pressaient que la plume en croyant te presser.
Et dormant ou veillant, moi je rêve toujours.

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