Michel Crèvecœur
Voyage dans la haute Pensylvanie et dans l'État de New-York Genre de texte Contexte Texte original Texte témoin
récit de voyage
Le colonel Crawghan raconte au narrateur une histoire que lui a racontée un ami pour illustrer le fait que les rêves sont parfois « une manière de demander ».
Voyage dans la haute Pensylvanie et dans l'État de New-York. Paris, Maradan, 1801, p. 23-24.
Le rêve de l’Indien et celui du Blanc
Un jour, me disait sir William Johnson, le vieux Nissooassou vint chez moi, et me dit :
– Mon père, j’ai rêvé la nuit dernière que tu m’avais donné un bel habit d’écarlate galonné d’or, et un chapeau qui l’était aussi.
– Cela est-il bien vrai, lui dis-je?
– Oui, foi de sachem, répondit-il.
– Eh bien! Tu n’auras pas rêvé en vain; je te donne l’un et l’autre de bon cœur.
– Le lendemain, continua sir William, l’ayant invité à déjeuner, je lui dis à mon tour :
– Henrique, j’ai rêvé aussi la nuit dernière.
– Qu’as-tu rêvé, mon père? Me demanda-t-il.
– Que tu m’avais donné, au nom de ta nation, un petit morceau de terre sur la Tiénaderhah, connu sous le nom D’Acérouni.
– Combien embrasse-t-il de tes acres, ce petit morceau de terre?
– Dix mille, lui répondis-je.
– Après quelques minutes de réflexion, il me dit :
– Eh bien! Comme moi tu n’auras pas rêvé en vain; je te donne ce petit morceau de terre; mais ne t’avise pas de rêver davantage, mon père.
– Et pourquoi non, Henrique? Les rêves ne sont-ils pas involontaires?
– Tu rêves trop fort pour moi (thou dreameth too hard for me), et bientôt tu ne laisserais plus de terre à nos gens.