Daphne Marlatt

Ana Historique

Canada   1988

Genre de texte
roman

Contexte
La nature expérimentale de Ana Historique rend difficile de préciser le contexte de ce récit de rêve. Le récit de rêve a lieu presque au milieu du roman, et il est raconté par Annie, la narratrice. Néanmoins, le « nous » qui apparaît vers la fin du récit de rêve efface partiellement la frontière entre Anne, sa mère, et Mme Richards, un personnage historique mystérieux au sujet de qui Annie essaie d’imaginer une histoire sans tomber tout simplement dans un récit historique factuel. Dans un sens, le « nous » renvoie à plusieurs générations de femmes sans les encadrer dans le temps de façon trop étroite, ce qui devient plus clair au fur et à mesure que progresse le roman.

Les accidents et les dangers évoqués dans le rêve renvoient au passage qui précède, où Annie raconte les avertissements de sa mère contre le fait de sortir seule la nuit. Le thème d’une présence masculine dangereuse est présent à travers le roman, et les mauvais traitements qu’Annie subit aux mains de son mari l’amènent finalement à le quitter et à chercher un rapport plus égalitaire avec son amie de longue date, Zoé.

Texte original

Texte témoin
Ana Historique. Trad. Lori Saint-Martin et Paul Gagné. Montréal: Éditions du Remue-ménage, 1992, p. 86-87.

Édition originale
Ana Historic. Toronto: Anansi, 1988. 78.




Rêve d’Annie

Les avertissements de ma mère

ce soir le monde semble fragile. je suis remplie de ponts effondrés, de voitures englouties, de poutrelles arrachées – pourquoi tous ces rêves d’accidents? tous ces gens sur le tablier d’un pont qui s’affaisse doucement sous leur poids, ma fille tombant dans l’eau en une longue courbe impossible.

maman, est-ce que je peux aller me baigner? oui, ma chère fille

toujours il y a la panique et les cris, les corps perdus, mon impuissance – toujours il y a cela. je semble incapable de faire quoi que ce soit. je ne peux la prévenir à temps, je suis incapable de lui venir en aide. toujours le téléphone est en dérangement. il est débranché ou la téléphoniste ne comprend pas. nous sommes ramenées à ce que nous sommes incapables de faire dans ces circonstances. et qui est nous? nous qui mettons en garde:

mais ne t’approche pas de l’eau

nous qui disons «  oui, mais » – qui connaissons les leurres et les pièges. qui sommes mère et fille, à la fois. c’est le monde extérieur qui semble parfois dément et extrêmement dangereux. c’est ma propre impuissance qui est dangereuse. le pire est que nous (encore ce nous) sommes responsables de cette situation. non, le pire est que nous n’avons jamais eu notre mot à dire.

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