George Gordon Byron

Don Juan

Angleterre   1821

Genre de texte
Poème

Contexte
Juan est un jeune Espagnol dont le bateau a fait naufrage dans la mer Égée et dont le corps a été jeté sur le rivage. Il est découvert par Haidée, une jeune grecque dont le père, Lambro, est un pirate. Haidée et Juan deviennent amants. Alors qu’ils se sont endormis durant la journée, Haidée rêve que Juan s’est noyé et que son corps se transforme soudainement en celui de son père, Lambro. Quand elle se réveille, elle voit Lambro, qu’elle croyait noyé, debout au-dessus d’eux. En dépit des efforts de Haidée, son père sépare les amants et vend Juan en esclavage. Haidée cesse de manger et meurt.

Texte original

Texte témoin
Don Juan, Chant IV.
Lord Byron: The Complete Poetical Works, Volume 5, ed. Jerome McGann, Oxford, Clarendon Press, 1986, p. 212-214.
Traduction française par Aurélien Digeon, Aubier, Collection bilingue des classiques étrangers, 1954, p. 349-354.




Rêve prémonitoire

Son amant dans la caverne

IV-XXIX

Appuyés maintenant joue contre joue, en un sommeil amoureux, Haïdée et Juan faisaient la sieste; leur somme était doux, mais léger, car de temps en temps quelque chose faisait tressaillir Juan, un frémissement parcourait tout son corps, et les lèvres charmantes d'Haïdée murmuraient comme un ruisseau une musique sans paroles, et son joli visage était agité par son rêve, comme des pétales de rose par la brise, [...]

XXXI

Elle rêvait qu'elle était seule sur le rivage de la mer, enchaînée à un rocher, sans savoir comment; mais elle ne pouvait se détacher de ce lieu, et le rugissement des flots augmentait, et les vagues se soulevaient autour d'elle menaçantes, et il lui semblait qu'elles dépassaient sa lèvre supérieure, elle suffoquait, la respiration lui manquait; et bientôt elles bouillonnaient au-dessus de sa tête, énormes et furieuses -- chacune d'elles en retombant devait la noyer, et pourtant elle ne pouvait mourir.

XXXII

Soudain, elle fut délivrée, et fuyant sur les rochers pointus, les pieds saignants, elle tombait presque à chaque pas qu'elle faisait. Et devant elle quelque chose roulait, enveloppé d'un linceul, quelque chose qu'elle se sentait forcée de poursuivre, malgré sa terreur, quelque chose de blanc, de vague, qui toujours fuyait son regard et son étreinte, et toujours elle cherchait à le voir, à l'étreindre et le poursuivait; mais au moment où elle allait le saisir, il lui échappait.

XXXIII

Son rêve changea: elle était debout dans une caverne, dont les parois étaient tapissées de stalactites de marbre, travail des siècles sur ces murs sculptés par les eaux; les vagues auraient pu les baigner, et des phoques y cacher leurs petits. Sa chevelure était ruisselante, les noires prunelles de ses yeux semblaient transformées en sources de larmes; ces larmes il lui semblait les voir tomber sur les pointes sombres des roches et s'y changer soudain en marbre.

XXXIV

Et humide, froid, inanimé à ses pieds, pâle comme l'écume qui couvrait son front mort, qu'elle s'efforçait en vain d'essuyer (combien doux naguère paraissaient ses soins, combien vains aujourd'hui!) Juan était étendu, et rien ne pouvait ranimer le battement de son cœur éteint; et les thrènes de la mer résonnaient sourdement à son oreille comme des chants de sirènes, et ce rêve si court semblait une vie trop longue.

XXXV

Et en regardant le mort, elle crut voir ses traits s'évanouir, ou faire place à d'autres, qui ressemblaient à ceux de son père, et peu à peu s'accrut la ressemblance avec Lambro, avec son regard perçant et sa grâce grecque. Elle eut un sursaut, s'éveilla, et vit ... ô puissances célestes! quel sombre regard rencontre le sien? C'est vraiment... c'est le regard de son père, fixé sur le couple!

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