Jean-Paul Sartre

l'Imaginaire

France   1940

Genre de texte
essai philosophique

Contexte
Le rêve se situe à la toute fin de l'essai, dans la dernière subdivision (« Le rêve ») de la quatrième partie intitulée « La vie imaginaire ».

Jean-Paul Sartre commence son essai en abordant la question du certain, et en définissant la notion d'image. Ensuite, l'auteur passe du certain au probable. Il est clair qu'il se dirige du concret au plus abstrait car, en troisième lieu, il inclut l'image dans la vie psychique pour entrer, en un quatrième temps, dans la vie imaginaire elle-même. C'est à la toute fin de cette partie que, dans le chapitre « Le rêve », l'auteur donne l'exemple d'un rêve qu'une dame de sa connaissance a fait récemment.

Texte témoin
Jean-Paul Sartre, l'Imaginaire : psychologie phénoménologique de l'imagination, Paris, Gallimard (coll. « Bibliothèque des idées »), 1940, p. 213-214.

Édition originale
Jean-Paul Sartre, l'Imaginaire : psychologie phénoménologique de l'imagination, Paris, Gallimard, 1940.

Édition critique
Jean-Paul Sartre, l'Imaginaire : psychologie phénoménologique de l'imagination, nouvelle édition par Arlette Elkaim Sartre, Paris, Gallimard (coll. « Folio Essais »), 1986, p. 320.

Bibliographie
Josette Pacaly, Sartre au miroir, Paris, Klinsieck, 1980, p. 35-36.




Le rêve de Mlle B...

De la lèpre et du pus

La présence du moi dans le rêve est fréquente et presque nécessaire lorsqu'il s'agit des rêves « profonds », mais on peut citer de nombreux rêves immédiatement postérieurs à l'endormissement, où le moi du dormeur ne joue aucun rôle. En voici un, par exemple, qui m'a été communiqué par Mlle B... : une gravure de livre apparaissait d'abord, qui représentait un esclave aux genoux de sa maîtresse, puis cet esclave allait chercher du pus pour se guérir de la lèpre que sa maîtresse lui avait donnée; il fallait que ce fût le pus d'une femme qui l'aimait. Pendant tout le rêve, la dormeuse avait l'impression de lire le récit des aventures de l'esclave. À aucun moment elle n'a joué de rôle dans les événements. Il est fréquent d'ailleurs que les rêves - chez moi, par exemple - se donnent d'abord comme une histoire que je lis ou qu'on me raconte. Et puis, tout d'un coup, je m'identifie à l'un des personnages de l'histoire, qui devient mon histoire.

[...]

En même temps, je pose chacune d'entre elles comme image. Ce caractère d'image demeure dans le rêve de Mlle B... : elle lit l'histoire, ce qui est une manière de neutraliser la thèse. Seulement chaque image apparaît comme un moment d'un déroulement temporel qui possède un passé et un avenir. L'esclave n'est pas vu pour lui-même, comme dans l'imagerie préonirique. Dans celle-ci, il apparaîtrait simplement comme « un esclave ». Mais dans le rêve, lorsqu'il se présente au dormeur, c'est comme esclave - malade - allant - chercher - du - pus - pour - se - guérir. En même temps que son image renvoie à un avant et à un après, elle paraît sur le fond d'un monde spatial très riche : pendant qu'il cherche son remède, je ne perds pas de vue qu'il a une maîtresse qui lui a donné la lèpre ni que cette maîtresse continue à exister quelque part, etc. D'ailleurs, l'image hypnagogique ne se donne jamais comme étant quelque part (p. 214).

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