Marguerite Yourcenar

Mémoires d'Hadrien

France   1951

Genre de texte
roman

Contexte
Environ au centre de la dernière partie intitulée Patientia.

Le roman consiste en une lettre de bilan écrite par Hadrien et adressée à son petit-fils. Au fil des six parties du roman, Hadrien nous fait part de l'évolution de sa vie. Étant donné que le récit de rêve se trouve en dernière partie, le narrateur, gravement malade, approche de la mort et communique ses réflexions à ce sujet.

Notes
Oasis d'Ammon : Oasis de Libye, connue par son temple de Zeus-Ammon et sa fontaine du Soleil.

Texte témoin
Marguerite Yourcenar, Mémoires d'Hadrien, Paris, Plon, 1951, p. 417.

Édition originale
Marguerite Yourcenar, Mémoires d'Hadrien, Paris, Plon, 1951, p. 417.

Édition critique
Marguerite Yourcenar, OEuvres romanesques, Paris, Gallimard (coll. « Bibliothèque de la Pléiade »), 1982, p. 512.

Bibliographie
Carmen Ana Pont, Yeux ouverts, yeux fermés : la poétique du rêve dans l'ouvre de Marguerite Yourcenar, Amsterdam, Atlanta, éditions Rodopi, 1994, p. 22, 30, 105, 176, 192, 198, 207, 216, 226 (mentions seulement).




Deux rêves d'Hadrien

Chasse au lion

Durant certaines périodes de ma vie, j'ai noté mes rêves; j'en discutais la signification avec les prêtres, les philosophes, les astrologues. Cette faculté de rêver, amortie depuis des années, m'a été rendue au cours de ces mois d'agonie; les incidents de l'état de veille semblent moins réels, parfois moins importants que ces songes. Si ce monde larvaire et spectral, où le plat et l'absurde foisonnent plus abondamment encore que sur la terre, nous offre une idée des conditions de l'âme séparée du corps, je passerai sans doute mon éternité à regretter le contrôle exquis des sens et les perspectives réajustées de la raison humaine. Et pourtant, je m'enfonce avec douceur dans ces régions vaines des songes; j'y possède pour un instant certains secrets qui bientôt m'échappent; j'y bois à des sources. L'autre jour, j'étais dans l'oasis d'Ammon, le soir de la chasse au grand fauve. J'étais joyeux; tout s'est passé comme au temps de ma force : le lion blessé s'est abattu, puis dressé; je me suis précipité pour l'achever. Mais, cette fois, mon cheval cabré m'a jeté à terre; l'horrible masse sanglante a roulé sur moi; des griffes me déchiraient la poitrine; je suis revenu à moi dans ma chambre de Tibur, appelant à l'aide. Plus récemment encore, j'ai revu mon père, auquel je pense pourtant assez peu. Il était couché dans son lit de malade, dans une pièce de notre maison d'Italica, que j'ai quittée sitôt après sa mort. Il avait sur sa table une fiole pleine d'une potion sédative que je l'ai supplié de me donner. Je me suis réveillé sans qu'il ait eu le temps de me répondre. Je m'étonne que la plupart des hommes aient si peur des spectres, eux qui acceptent si facilement de parler aux morts dans leurs songes.

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