Jean-Ogier de Gombauld

L’Endimion de Gombauld

France   1624

Genre de texte
Roman

Contexte
Le rêve se trouve dans le livre 3 du roman qui compte 5 livres.

Après avoir raconté à son ami Pyzandre ses rencontres avec la déesse Diane et un songe, Endimion lui fait part d’un autre rêve qu’il a fait.

Texte original

Texte témoin
Paris : N. Buon, 1626, p. 136-144.




Vision d’Endimion

Apparition de Diane

Je dormis donc un premier somme fort court, mais fort paisible : puis un second fort interrompu de songes. Tantôt je me travaillais à chercher Diane avec beaucoup de sollicitude, et toutefois je ne pouvais la trouver. Tantôt il me semblait qu’à tout propos j’avais quelque chose à démêler avec des hommes que je ne connaissais point. Et comme c’est la coutume de ceux qui se couchent avec quelque dessein, ou quelque appréhension, de se réveiller avec beaucoup moins de difficulté, et en dormant même, de se tenir toujours sur leurs gardes : j’attendais le jour avec impatience, et troublais mon repos de mille inquiétudes : quand sur le point que l’aurore commençait à paraître, je vis ce qui me semblait l’aurore même qui se présentait à moi, ou à tout le moins une beauté qui en avait les cheveux, le teint, et les yeux; coiffée de telle sorte que l’art semblait vouloir disputer l’avantage avec la nature, dont toutefois il était surpassé : et parée comme si ç’eût été le jour de ses noces avec quelqu’un des dieux; ou des plus notables d’entre les hommes.

Sa robe était blanche toute parsemée de fleurs, qui semblaient tomber de tous côtes de son sein, et de sa tête : et sa ceinture était d’or en forme d’abeilles sur des fleurs, dont les feuillages étaient d’émeraudes. Elle avait un couteau dans la main droite, et cherchait à couper une branche du myrte, au pied duquel j’étais couché : mais n’y pouvant atteindre, elle fut contrainte de s’adresser à moi : et me regardant d’un oeil qui seul me pouvait persuader de ce qu’elle eût désiré, s’il eût été capable de me le faire entendre; elle me dit ces paroles : «Je me suis aujourd’hui levée longtemps avant le soleil, pour ce qu’il m’est ordonné d’assister bientôt à un sacrifice, où j’avais besoin d’une branche de myrte, et je ne trouve personne qui me la donne, sans que je me mette en peine de la demander. Toi que les dieux m’ont peut-être envoyé, pour me tirer de cette peine; accorde-moi, je te prie, ce que nul ne me voudrait refuser. Et en reconnaissance de ce bon office, je te donnerai à toi seul le cœur, et l’affection que plusieurs ont désirée, et que nul n’a jamais encore obtenue. En quoi j’ose bien dire que la récompense surpassera de beaucoup la peine, et que même tu n’en devrais point désirer d’autre, si d’aventure tu es d’une nation, et d’une nature courtoise, que la faveur que je te fais de t’en prier.»

Elle se fût contentée de ne m’en dire point davantage; et moi de lui obéir tout à l’heure : mais comme je demeurais immobile, tant j’avais de peine à vaincre le charme dont j’étais retenu, elle crut aussi que j’étais insensible. Si bien qu’elle ajouta encore d’autres persuasions aux premières. «Si peu, dit-elle, que tu sois clairvoyant, ce que tu vois en moi, te représente assez ce que je suis, sans que tu puisses m’obliger de bonne grâce à te le dire; non plus qu’à te rendre davantage raison de ce que je demande; si est-ce que pour ôter à ton esprit tout sujet de doute et d’excuse, je ne fais point de difficulté de te déclarer et l’un et l’autre. Sache donc encore (si je dois plus suivre en cela la commune opinion, que celle que j’ai de moi-même) que je suis tenue pour l’exemple et l’honneur des filles de tous ces lieux ici, et de qui la vertu, non plus que la beauté comme d’une déesse entre les mortelles, ne souffre point de comparaison, ni même d’envie : en vain pourchassée, en vain solicitée de toute la fleur des jeunes gens, qui au moindre signe que je leur donnerais, de ce que je désire, ne le chercheraient pas seulement dans cette forêt, mais par tout le monde. Et je ne pense pas que tu leur cèdes, ni en courtoisie, ni en affection quand le sujet le mérite. Quoi qu’il en soit, quand ton humeur ne serait point portée à m’obliger, je crois que tu y serais forcé par ta destinée : et que tu ferais pour la gloire d’une grande déesse, ce que tu ne voudrais pas faire pour moi. Toutefois je ne sais pas si c’est de toi que nos oracles parlent tant, quand ils disent qu’une petite branche de myrte doit être la cause du plus grand, et du plus célèbre sacrifice que nous ayons jamais fait à la lune; et que lors même elle doit descendre du ciel en faveur de celui qui l’aura coupée, et moi cependant, je la porterai dans le sein pour l’amour de toi; ou si elle n’apporte aucun fruit; à tout le moins elle y fleurira jusqu’à tant que nous allions tous deux au grand autel : et là je te dois sacrifier mon cœur, comme toi le tien à Diane.»

À ces paroles je me voulus lever, et me mettre en devoir de la servir en tout ce qu’elle désirait; mais elle me dit : «Toubeau, je te prie; garde-toi bien de te lever devant que je me sois retirée un peu à l’écart : le jour commence à découvrir toutes choses, et si d’aventure j’étais aperçue par quelqu’un des gardes de la forêt, mon intention n’étant point reconnue, on m’imputerait à crime d’être trouvée seule avec toi; et l’heure même ajouterait quelque chose à la mauvaise, opinion qu’on en pourrait avoir. Toi donc aussi quand tu auras abattu la branche au pied du myrte, ne manque point de te retirer à part, pour me donner le temps de la venir prendre.» Elle partit en disant ces dernières paroles : et moi tout ravi de cette vision je n’en pus souffrir la perte sans en être bien fort touché. Si bien que j’ouvris les yeux, et me levai tout d’un même temps, pour voir ce qu’elle deviendrait : mais ne la voyant plus, et oubliant toutes choses pour l’amour d’elle : je me tournai vers l’arbre […]

Page d'accueil

- +