Jean de Mairet

La Sylvie

France   1630

Genre de texte
Théâtre (vers)

Contexte
Le rêve se situe dans la première scène du second acte.

Sylvie, une bergère, et Thélame, le fils du roi de Sicile, sont amoureux. Damon, le père de Sylvie, veut marier sa fille à Philène contre le gré de son épouse Macée et de Sylvie. Le songe de la mère de Sylvie, qui se produit au début du récit, (Acte II, scène I) semble annoncer les multiples épreuves que vivront les deux amoureux avant de s’épouser à la fin de la pièce

Texte original

Texte témoin
Ed. J. Marsan, Paris : Societe nouvelle de librairie et d’édition, 1905, p. 51-58[56].




Rêve de Macée

Les tribulations de sa fille

MACEE.
L’assurance que j’ai de l’honneur de ma fille,
Et que l’esprit d’un Prince est rarement trompeur,
M’affranchira du blâme ainsi que de la peur;
Même s’il est permis de tirer quelque augure
Des songes que Morphée en dormant nous figure,
Je tiens suivant celui que je veux réciter,
Que cette affection nous pourra profiter,
Et qu’étant comme elle est innocemment conçue
Elle finira bien si je ne suis déçue.
Soyez donc attentif si vous voulez ouïr
Un discours dont la fin nous devrait réjouir.

DAMON.
Le plaisir est bien vain qui procède d’un songe.

MACEE.
Encore trouve-t-on quelque appât au mensonge,
Et principalement alors qu’il va flattant
Un esprit dans la peur de son malheur flottant.
Cette nuit sur le point que pour déplaire à l’ombre
Le Ciel étincelait de petits feux sans nombre,
Et que les froids pavots du sorcier de nos maux
Assoupissaient les sens de tous les animaux,
Il m’a semblé de voir dans une grande plaine
Notre fille au milieu de ses troupeaux à laine;
Ce jour à mon avis était bien le plus beau
Que jamais ait formé le céleste flambeau,
Le Ciel partout uni sans ride et sans nuage
Sous un éclat d’azur montrait son beau visage,
Quand tout à coup voilà que l’air triste et fâché,
Dans un nuage noir a le Soleil caché;
Les bocages couverts d’horreur et de ténèbres
De plaisants qu’ils étaient sont devenus funèbres,
Parmi l’obscurité de cette épaisse nuit
Un soudain tourbillon avec un fort grand bruit
Après m’avoir en vain deux ou trois fois heurtée,
D’un violent effort a ma fille emportée :
J’avais beau regarder, le Ciel était si noir,
Qu’à quatre pas de moi je n’eusse pu la voir,
Au défaut du regard mon oreille attentive
Recevait à tous coups sa voix faible et plaintive
Qui venait jusqu’à moi d’un lamentable accent,
Ainsi que d’un esprit que la mort va pressant :
Lors véritablement la crainte naturelle
A fait place à l’amour que j’eus toujours pour elle,
Car quelque précipice où j’eusse pu courir
J’ai fait tous mes efforts pour aller la secourir.
Je l’assurais déjà de mon aide présente,
Quand je me trouve à coup si lourde et si pesante,
Que pour la délivrer d’un assuré trépas
Je n’eusse pu vers elle avancer d’un seul pas :
Tantôt il me semblait glisser dessus du verre,
Et tantôt que mes pieds se collaient à la terre,
Même au lieu d’aller droit où sa voix m’appelait
Un souffle impétueux parfois me reculait.
Dans ces extrémités, où sans changer de place
Mon front s’était couvert d’une sueur de glace,
Le Ciel s’est allumé d’un feu subit et clair,
Et la foudre aussitôt a suivi son éclair,
Un déluge de pluie et de grêle menue
Après cela suivant a fait crever la nue :
Alors il est certain que tant d’objets d’horreur
M’ont touché les esprits de crainte et de terreur.

DAMON.
Est-ce là ce beau songe en qui ton espérance
A mis ces fondements avec tant d’assurance?
Et quoi! ne vois tu pas qu’en toutes ces couleurs
Il ne nous marque rien que soins et que douleurs?

MACEE.
Jusqu’ici je l’avoue, il est un peu funeste,
Mais donnez vous loisir d’en écouter le reste :
J’étais dans ces frayeurs quand un trait de clarté
Passant tout au travers du brouillard écarté,
Et mêlant parmi l’air l’argent de sa lumière,
A remis les objets en leur couleur première :
Bons Dieux que de plaisirs, et que de toutes parts
Toute chose s’offrait plaisante à mes regards,
Les herbes et les fleurs n’étaient non plus couchées
Que si le tourbillon ne les eût point touchées,
L’effet prodigieux de l’orage passé
Jusqu’à la moindre marque était tout effacé :
Au lieu que je craignais de rencontrer Sylvie
Ou morte, ou pour le moins en danger de sa vie,
[... ] Souriant à ces mots elle achevait à peine,
Qu’une foule de monde apparut dans la plaine,
Bergères et Bergers chantant confusément
Certains airs qui pourtant s’entendaient aisément,
Mêlés comme ils étaient le respect sur la face
Ils nous ont salué d’une fort bonne grâce;
Après se divisant, les hommes réunis
Ont fait à ce Berger des honneurs infinis,
Les filles d’autre part s’adressant à la mienne
À l’imitation de la plus ancienne,
Ainsi que les Bergers ont ployé les genoux
Toutes à même temps s’inclinant devant nous,
Une enfin s’avançant et fort belle et fort grande
Sur le front de Sylvie a mis une guirlande.
Là dessus notre coq au retour du soleil
De son chant importun a rompu mon sommeil.

DAMON.
Tout grossier que je suis je ne m’attache guère
à ces sottes erreurs qui touchent le vulgaire,
Les superstitions n’engagent point ma foi,
Mon jugement s’en moque et leur donne la loi.

MACEE.
Je suis avec vous, Damon, que d’ordinaire
Le présage d’un songe est moins qu’imaginaire,
Mais il faut avouer qu’on en a fait aussi
Dont les prédictions ont fort bien réussi,
Je connais une femme en notre voisinage
Qui me dira bientôt ce que le mien présage.

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