Roland Barthes

La chambre claire

France   1980

Genre de texte
Essai

Texte témoin
Roland Barthes, La chambre claire, Cahiers du cinéma / Gallimard / Seuil, 1980, p. 103-104.




Sur les rêves

Je ne rêve que de ma mère

Le presque : régime atroce de l’amour, mais aussi statut décevant du rêve — ce pour quoi je hais les rêves. Car je rêve souvent d’elle [ma mère] (je ne rêve que d’elle), mais ce n’est jamais tout à fait elle : elle a parfois, dans le rêve, quelque chose d’un peu déplacé, d’excessif : par exemple, enjouée, ou désinvolte — ce qu’elle n’était jamais; ou encore, je sais que c’est elle, mais je ne vois pas ses traits (mais voit-on, en rêve, ou sait-on?) : je rêve d’elle, je ne la rêve pas. Et devant la photo, comme dans le rêve, c’est le même effort, le même travail sisyphéen : remonter, tendu, vers l’essence, redescendre sans l’avoir contemplée, et recommencer.

Page d'accueil

- +