Antonine Maillet

L’Oursiade

Québec   1990

Genre de texte
roman

Contexte
Ce passage et celui de la fiche précédente sont tirés d’une section au milieu du roman intitulée «Interlude». Il s’agit d’un temps suspendu entre la première partie et la deuxième partie du roman, qui correspond à la période d’hibernation des ours.

Tit-Jean est un orphelin de douze ans, fils de Marguerite et de père inconnu, qui vit chez Ozite. Simon le Métis est un chasseur d’ours, orphelin de naissance, qui aime beaucoup les ours, en fait, et qui sert de père substitut à Tit-Jean.

Texte témoin
L’Oursiade. Montréal : Leméac, 1990, p. 140-141.




Le rêve d’un adolescent

Une porte à défoncer

Il [Tit-Jean] retourne se coucher. (…) Il creuse son trou dans le duvet et recherche d’instinct la position fœtale. Depuis qu’Ozite se donne la peine de grimper jusqu’au grenier pour le faire tourner sur le dos – un enfant de son âge n’a pas affaire à dormir sur le ventre – il lui arrive souvent de se retrouver à mi-chemin entre l’homme et l’enfant, entre l’enfant et le fœtus.

… Avant sa naissance, il a sûrement connu en compagnie de sa mère des moments de doute ou d’hésitation à venir au monde. Car chaque fois qu’il s’endort ainsi enroulé sur lui-même, il fait des rêves troublants et qui le laissent tout en sueur. Il rêve qu’il est seul devant une porte close qu’il s’acharne à défoncer, les mains nues, ou armé seulement de sa fronde ou d’un couteau de poche. Il sait qu’il doit entrer ou sortir, que c’est une question de vie ou de mort, que de l’autre côté se trouvent le Métis et Ozite…

Le cri de joie d’Ozite qui le reçoit à coups de tapes sur les fesses le réveille. Et il se retrouve encore un coup trempé de sueur ou de…

-- Maudite marde!

Il se lève, contemple avec dégoût la tache gluante au milieu du drap, arrache les couvertures du matelas et jette de nouveau un œil à la lune tout rouge. C’est là qu’il la voit. La silhouette. Dans la lune, il aperçoit la silhouette d’Ozite.

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