Jean Genet

Notre-Dame-des-Fleurs

France   1943

Genre de texte
roman

Texte témoin
Œuvres complètes de Jean Genet, Paris : Gallimard, 1970, p. 44.




Rêve de pardon

Une dent arrachée dans une coupe

Ce matin, après une nuit où j’ai trop caressé mon couple chéri, me voici arraché à mon sommeil par le bruit du verrou tiré par le gâfe qui vient chercher les ordures. Je me lève et vacille jusqu’aux latrines, mal débrouillé de mon rêve étrange où j’ai pu obtenir le pardon de ma victime. Donc j’étais plongé dans l’horreur jusqu’à la bouche. L’horreur entrait en moi. Je la mâchais. J’en étais plein. Lui, ma jeune victime, était assis près de moi et sa jambe nue, au lieu de se croiser sur la droite, passait au travers de la cuisse. Il ne dit rien, mais je savais sans aucun doute qu’il pensait : « J’ai tout dit au juge, tu es pardonné. Du reste, c’est moi qui siège au tribunal. Tu peux avouer. Et avoir confiance; tu es pardonné. » Puis, selon cet immédiat des rêves, il fut un petit cadavre pas plus grand qu’une figurine de tarte des Rois, qu’une dent arrachée, couché dans une coupe de champagne au milieu d’un paysage grec de colonnes annelées, tronquées, autour desquelles s’enroulaient et flottaient comme des serpentins de longs ténias blancs, cela sous une lumière proprement de rêve. Je ne sais plus très bien mon attitude, mais je sais que je crus ce qu’il me dit. Mon réveil ne m’enleva pas ce sentiment de baptême.

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