Charles de Mouhy

La Paysanne parvenue

France   1735

Genre de texte
prose, roman

Contexte
Le rĂŞve se situe dans la partie 5 du roman qui en compte 12.

Lindamine, qui sent des picotements dans son ventre, en fait part à son père. Les médecins sont d’avis qu’il faut l’opérer d’urgence pour la délivrer d’un corps étranger. Lindamine fait ce rêve juste après cet épisode.

Texte témoin
La Paysanne parvenue ou les MĂ©moires de Mme la Marquise de L. V. Amsterdam, [s.n.], 1739, p. 341-342. Document disponible sur Gallica.




Le rĂŞve de Lindamine

Un avertissement

Je fus examinée, et après le raport fait, que j’étois agitée des mouvemens, dont j’ai parlé, ordinairement à jeun ou lorsque je commençois à manger, il fut conclu que le sentiment de mon pere l’emportoit sur les différentes inductions qu’on tira, et que dans un cas si extraordinaire et si pressant, il falloit avoir recours à l’incision, afin de me délivrer d’un être qui tôt ou tard me donneroit la mort. La famille et toute la maison fut effrayée de cette ordonnance; mon pere, après avoir essuyé ses pleurs, vint m’annoncer cette nouvelle, à laquelle il me prépara par tout ce que la religion et la raison ont de plus fort; j’avouërai naturellement que la fin de la conversation me fit frémir, puisqu’il étoit vrai que dans cette opération un rien étoit capable de m’ôter la vie. Je demandai la nuit pour me disposer à donner mon consentement: pour peu qu’on fasse de réfléxion à la situation où je me trouvai alors, l’on doit imaginer que je ne la passai pas tranquilement. Il étoit près du jour que je n’avois pas encore fermé l’oeil; cependant à force d’être accablée, je commençois à m’endormir lorsque je fus réveillée en sursaut par une voix qui me dit ces paroles: Lindamine, gardez-vous bien de consentir à l’opération, vous serez guérie avant deux mois. Je fus si effrayée de ce discours, qu’une sueur froideme couvrit le visage; j’apellai à mon secours de toutes mes forces mon pere, dont la chambre étoit voisine de la mienne; il se leva et vint aprendre la cause de mes cris; je lui racontai ce qui m’étoit arrivé; il fit tout ce qu’il pût pour me remettre, et pour me persuader que dans l’inquiétude où je m’étois couchée, il n’étoit pas surprenant que les vapeurs d’un sommeil si justement agité eussent produit un songe qui paroissoit d’autant plus signifier qu’il étoit enfanté par la crainte de l’ame qui tremble perpétuellement pour la dissolution du corps: pour apuyer cette raison, il me rapella ce que j’avois lû cent fois dans nos traitez, qui est, lorsque la tête est échauffée parles vapeurs subtiles portées dans le cerveaupar une fiévre ardente, il s’y produit untel dérangement et une telle confusion dansles parties voisines de la glande que nous nommons pinéale qu’elle conçoit les objets si différens de ce qu’ils sont, que non-seulement elle les representent tels à l’imagination prévenuë, mais même à nos yeux: il arrive encore que les oreilles semblent entendre,en veillant même, des discours seuls formez par le déréglement du cerveau.

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