Roger Bodart

Approches des vérités qui bougent

Belgique   1960

Genre de texte
Journal

Contexte
Ce récit provient des carnets de Roger Bodart et n’a été publié qu’après sa mort.

Notes
Ce rêve a été retenu et commenté par Gilberte Aigrisse dans «Psychogenèse d’un poème» (éd. André de Rache, Bruxelles, 1973). Gilberte Aigrisse fait de ce rêve le symbole de l’intégration, par le poète, de toutes ses composantes contradictoires permettant l’état victorieux de «la sérénité créatrice». (N.D.L.R.)

Texte témoin
Approches des vérités qui bougent, Troyes : Amis des cahiers bleus, 1985, p. 38.




Surprise

Son crâne a disparu

A la fin de cette nuit — nuit d’insomnie au cours de laquelle j’ai «réalisé» avec une force jamais atteinte jusqu’ici combien j’ai perdu mon temps au cours des dix dernières années — je me suis endormi sur cette désolante impression et j’ai fait un rêve.

J’étais dans une sorte de hangar ou de grenier. J’avais dans les mains non ma tête mais mon crâne. Cela n’était pas sinistre ni étrange, à peine curieux. Je me demandais vaguement comment cela pouvait être possible, et ce qu’il fallait faire pour réparer les dégâts, c’est-à-dire pour redevenir moi-même, intact. Le problème était difficile à résoudre, si difficile que je l’écartai, et comme j’entendais Th... approcher, je ne pensai plus qu’à l’étonner en plantant mon crâne sur un bout de bois et en le cachant sous un voile.

Quand Th. fut là, j’arrachai le voile brusquement, savourant d’avance l’impression que j’allais faire, mais ce fut moi l’étonné : le crâne n’était plus là. J’en ressentis un certain malaise. Était-il tombé et avait-il éclaté en mille morceaux ? Autrefois, adolescent, j’avais joué à la balle dans la classe des sciences, à l’école, avec un crâne qui était tombé et s’était réduit en poussière. Mon crâne était-il tout à fait perdu ?

Je cherchais vainement lorsque, là même où j’aurais dû normalement le trouver, je touchais un vase. Th. me le prit des mains et en tira une série de vases précieux, comme, de certaines sphères d’ivoire ciselées par les Arabes ou les Chinois, on tire d’autres sphères aux fines dentelures. Th... m’expliqua que c’était des vases égyptiens qu’elle avait pris dans un musée.

— En existe-t-il d’autres copies ? lui demandais-je.

— Non, répondit-elle.

Qu’elle ait pu commettre ce vol m’ennuyait vraiment beaucoup. C’est alors que je m’éveillai.

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