Claude Guymond de la Touche

Iphigénie en Tauride

France   1758

Genre de texte
théâtre

Contexte
Le rêve se situe à la scène 2 de l’acte 1 de cette pièce en 5 actes.

Fille d’Agamemnon, Iphigénie a autrefois été donnée par son père en sacrifice à la déesse Diane. Agamemnon l’avait fait venir en lui disant qu’elle allait épouser Achille, le célèbre guerrier grec. La déesse cependant ne tue pas Iphigénie, mais l’enlève et l’emmène dans son temple en Tauride où elle devient prêtresse chargée de sacrifier tout étranger se présentant sur l’île. Ce rêve qu’Iphigénie raconte au début de la pièce annonce les événements du dernier acte où son tyran la force à poignarder son frère Oreste égaré sur l’île. Iphigénie refusera cependant de l’assassiner et s’enfuira avec lui.

Texte témoin
Ménard et Raymond, Répertoire général du théâtre français, T. 26, 1813, p. 226.




Le songe d’Iphigénie

Sinistre présage

Quand, dans l’espoir flatteur d’un brillant hyménée,
je fus aux champs d’Aulide en triomphe amenée,
de mes affreux destins fatal avant-coureur
un songe également vint me remplir d’horreur;
j’y vis d’Agamemnon la sanglante imposture;
je le vis à l’autel, outrageant la nature,
d’un titre qu’il souillait avidement jaloux,
me présenter la mort au lieu de mon époux.

ISMÉNIE.

Quel fantôme aujourd’hui, quel sinistre présage
de vos sens égarés suspend encor l’usage?
Osez me le tracer, soulagez votre cœur;
le récit de nos maux adoucit leur rigueur.

IPHIGÉNIE.

Quel mélange inouï d’horreur et d’allégresse!
Je revoyais les lieux si chers à ma tendresse;
au sein de la nature et de l’humanité,
je respirais le calme avec la liberté;
au fond de leur palais, rempli de leur puissance,
je cherchais les auteurs de ma triste naissance,
quand un bruit effrayant, des gouffres du trépas,
s’élève et fait trembler le marbre sous mes pas.
D’une sombre vapeur l’air à l’instant se couvre,
la voûte du palais à longs sillons s’entrouvre;
je fuis et la lueur d’un pâle et noir flambeau
ne me laisse plus voir qu’un horrible tombeau.
En ce même moment un nouveau bruit s’élève;
de ce vaste débris qu’avec peine il soulève,
sort un jeune inconnu, sanglant, pâle, meurtri;
il m’appelle en poussant un lamentable cri :
J’accours; et pleine encor du fatal ministère
dont je porte le joug, esclave involontaire,
ornant son front de fleurs et du bandeau mortel,
je le traîne en pleurant aux marches de l’autel.
Ce jeune infortuné, grands dieux! C’était mon frère...
sorti du sein des morts, mon parricide père
semblait, brûlant encor de la soif de son sang,
forcer ma main tremblante à lui percer le flanc.

ISMÉNIE.

Chassez ces vains objets, effacez-en l’empreinte.

IPHIGÉNIE.

N’es-tu plus, cher espoir? En croirai-je ma crainte?
Es-tu, comme ta sœur, à l’orgueil immolé?
Pour un autre Ilion ton sang a-t-il coulé?
Hélas! Tu soutenais mon timide courage;
j’attendais chaque jour qu’un favorable orage
me livrât sur ces bords, de mes larmes trempés,
quelques malheureux grecs au naufrage échappés,
pour instruire par eux Argos et ta tendresse,
du cours de mes destins, ignoré de la Grèce;
sûre que ton grand cœur, pénétré de mon sort,
m’affranchirait d’un joug plus cruel que la mort.
Inutiles projets! Les dieux, dans leur vengeance,
m’ont voulu tout ravir, jusque à l’espérance.

ISMÉNIE.

Croyez-en moins un songe et vos pressentiments :
il n’est d’oracles sûrs que les événements.
Quel barbare plaisir, quelle fureur extrême
d’irriter vos ennuis sans pitié pour vous-même!

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