Robertson Davies

The Manticore

Canada   1972

Genre de texte
roman

Contexte
Ce rêve se situe au chapitre huit de la deuxième section du roman lors de l’analyse du narrateur à la clinique jungienne de Zurich.

Notes
Ce rêve est tout à fait caractéristique de la clinique jungienne, avec sa riche moisson de symboles et d'archétypes qui plongent dans les cultures anciennes.

Le terme manticore (var.: mantichore) est attesté au Littré, qui le définit comme un «animal fabuleux à tête d'homme et corps de lion, du persan mardi-chouran, mangeur d'hommes». On s'étonne que la traduction française n'ait pas retenu ce terme.

Commentaires
Ce passage est important parce qu’il explique le titre du roman. Le lion au visage d’homme est une bête mythique qui représente, selon le Docteur von Haller, le domaine des sentiments chez David. Quoique l’accès à ses émotions soit nécessaire pour David, qui les a refoulées pendant longtemps, cela peut aussi entraîner des blessures, un fait qui est représenté par la queue acérée du lion : «les sentiments non développés sont sensibles - sur la défensive. Le manticore peut être extrêmement dangereux.»

Le Dr von Haller insiste sur le fait que ce n’est pas elle qui est représentée par la sibylle qui tient en laisse le manticore, et elle l’encourage à bien réfléchir à qui cette figure pourrait appartenir. Comme l'image est apparue du côté gauche, cela indique qu'elle vient de son Inconscient : la sibylle serait en fait son Anima, c'est-à-dire la part féminine de son être, qui peut être ange ou sorcière. Ainsi, les «vieilles biques» évoquées au récit de rêve précédent étaient également des projections de son Anima sur la personne de Netty. L'apparition en rêve de cette personnification de son Anima est jugée un bon signe et d'une importance décisive dans le progrès de la cure.

Texte original

Texte témoin
Le lion avait un visage d’homme, trad. Claire Martin (avec modifications par C.V.), Montréal : Tisseyre, 1978, p. 185-186.

The Manticore, Toronto : Penguin Books, 1996, p. 152-153.

Édition originale
Ci-dessous, illustration de couverture de l'édition de 1976.




Rêve jungien

Le manticore

— … Avez-vous rêvé depuis notre dernier rendez-vous ?

— La nuit dernière, j’ai rêvé de vous.

— Racontez.

— C’était un rêve en couleur. Je me trouvais dans un passage souterrain, éclairé de quelque façon, car je pouvais voir qu’il était décoré de fresques à la manière de la décadence romaine. Toute l’atmosphère du rêve était romaine, la Rome de la décadence. Je ne sais pas à quoi je le voyais, je le sentais. J’étais vêtu à la moderne. J’étais sur le point de traverser le passage quand mon attention fut attirée par la première fresque, à gauche. Ces peintures, voyez-vous, étaient presque de grandeur nature, dans les tons chauds mais mats des fresques romaines. La première — je ne pouvais pas voir les autres — vous représentait vêtue en sibylle, robe blanche et mante bleue. Vous souriiez. Vous teniez, enchaîné, un lion qui regardait hors du tableau. Le lion avait un visage d’homme. Le mien.

— D’autres détails.

— La queue du lion finissait comme une lance ou un harpon.

— Ah ! un manticore !

— Un quoi ?

— Le manticore est une créature fabuleuse avec un corps de lion, un visage d’homme et un dard dans la queue.

— Je n'ai jamais entendu parler de ça.

— Non, ils ne sont pas fréquents, même dans les mythes.

— Comment puis-je rêver de quelque chose dont je n’ai jamais entendu parler ?

— C’est une question très embrouillée qui appartient, en réalité, à la seconde partie de votre psychanalyse. Cependant, c’est bon signe que cette sorte de choses apparaisse déjà dans vos rêves. Les gens rêvent souvent de choses qu’ils ne connaissent pas. Ils rêvent de minotaures alors qu’ils n’ont jamais entendu parler d’une telle créature. De très respectables femmes qui ignorent tout de Pasiphaé rêvent qu’elles sont reines et qu’elles ont plaisir à être possédées par un taureau. C’est que les grands mythes ne sont pas des histoires inventées, mais l’objectivation d’images et de situations profondément enfouies dans l’âme humaine.

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