Eschyle

Les Choéphores

Grèce   -458

Genre de texte
tragédie

Contexte
Le rêve se produit vers le milieu de la pièce, aux vers 523 à 535. (Texte complet en traduction française sur ce site.)

Oreste revient dans son pays pour venger son père, Agamemnon, assassiné par sa mère, Clytemnestre. Sa sœur, Électre, et les captives qu’Agamemnon a ramenées de la guerre de Troie (le chœur), sont complices d’Oreste. Alors qu’Oreste demande pourquoi Clytemnestre a commandé que soient rendus des honneurs funèbres à sa victime, une des captives répond qu’un rêve lui fait craindre le courroux vengeur de son époux. Oreste interprète ce songe prémonitoire comme la garantie de son succès.

Notes
Agamemnon : Roi d’Argos. Parti conquérir Troie avec son armée pour venger l’affront subi par son frère Ménélas, il en revient dix ans plus tard, victorieux. Clytemnestre, qui a pris un amant, l’y attend pour l’assassiner (c’est le sujet de la pièce Agamemnon, premier volet de l’Orestie, dont les Choéphores est le second volet).

Selon Julie Wolkenstein, la forme du dialogue a été retenue ici parce qu'«il faut qu'il [Oreste] assume le vécu onirique de sa victime pour répondre plus tard de son accomplissement et cet enjeu est signifié par la narration qu'il contribue à formuler dans un échange, un dialogue – s'en faisant ainsi co-auteur à défaut d'en être le rêveur». (Les récits de rêve dans la fiction, p. 28).

Commentaires
Le rêve de Clytemnestre se révèlera prophétique. Mais, pour le psychanalyste G. Devereux, l'intérêt de ce rêve réside surtout dans sa profonde vérité psychologique, les sentiments de culpabilité de Clytemnestre et d'inadéquation à son rôle maternel. Le contexte de la pièce montrerait selon lui que, en fait, Oreste n'a pas été allaité par sa mère mais par une nourrice. Le comportement très calme de Clytemnestre durant le rêve émanerait d'un niveau de son psychisme, tandis que son cri de terreur proviendrait d'un autre niveau.

Les serpents sont omniprésents dans l'Orestie. Pour le psychanalyste, le serpent correspond au fantasme féminin bien connu de substitut de pénis. La morsure du sein serait une réplique inversée du motif du vagina dentata. Eschyle dépeint Clytemnestre comme un type de femme masculine, qui a peur d'allaiter et craint la morsure castratrice de son bébé. Ce rêve rappelle la façon dont Heraclès avait mordu le sein de Héra et avait en conséquence été projeté au loin par la mère furieuse. Par la suite, Heraclès blessera sa mère au moyen d'une flèche qui l'atteindra au sein.

Le caillot de sang, qui est étrange dans une blessure toute fraîche, serait produit par la proximité étymologique, en grec, des verbes allaiter et congeler.

Dans ce rêve, Clytemnestre exprimerait donc sa culpabilité de n'avoir pas allaité son fils et d'avoir tué son mari : elle fusionnerait les deux reproches dans l'image du serpent-Oreste, le vengeur. Dans son rêve, Clytemnestre se comporte comme une meilleure mère qu'elle ne l'a été. Le Surmoi lui donne la possibilité de satisfaire à un désir d'auto-punition: elle donne le sein au serpent et s'expose à sa morsure, tout en se donnant la gratification sexuelle impliquée par le fait de donner le sein.

Pour Julie Wolkenstein, le psychanalyste va trop loin et ne convainc pas: «les interprétations qu'il propose des rêves tragiques, pour rigoureuses qu'elles apparaissent, laissent à penser que l'interprétation psychanalytique a suffisamment de ressources pour faire feu de tout bois» (p. 34).

Lire G. Devereux, Les rêves dans la tragédie grecque, Paris, Les belles lettres, 2006, p. 273-332.

Texte original

Texte témoin
Eschyle, Tragédies, trad. Paul Mazon, Paris, Budé, Coll. Les belles lettres,1962, p. 301.

Édition originale
Aeschylus, Libation Bearers, ed. Herbert Weir Smyth, Ph. D., Site Perseus, t.q. consulté le 16/10/2004, basé sur Aeschylus, trad. angl. Herbert Weir Smyth, Ph. D., Harvard University Press, London,1926, v. 1 & 2.




Songe de Clytemnestre

Un serpent au sein

LE CHÅ’UR
Je le sais, enfant, car j’étais là. Ce sont des songes, des terreurs inquiétant ses nuits, qui l’ont fait sauter de couche pour envoyer ces libations, la femme impie!

ORESTE
Mais le songe lui-même, peux-tu me le conter?

LE CHÅ’UR
Elle crut enfanter un serpent, disait-elle.

ORESTE
Dis-moi la fin : comment se termine ce rêve?

LE CHÅ’UR
Elle, comme un enfant, l’abritait dans des langes.

ORESTE
Et de quoi vivait-il, le monstre nouveau-né?

LE CHÅ’UR
Elle-même, en son rêve, lui présentait le sein.

ORESTE
Et le sein n’était pas blessé par un tel monstre?

LE CHÅ’UR
Si! Un caillot de sang se mêlait à son lait.
En vérité, cela n'est pas sans signification: la vision signifie un homme.
Alors, dans son sommeil elle lançait un cri et se réveillait effrayée.

ORESTE
Ô terre ! ô tombeau de mon père ! puissé-je accomplir ce songe ! Il me paraît avoir avec moi un entier rapport. Le serpent est né dans le sein qui m'a conçu ; enveloppé de langes, il a sucé la mamelle qui m'a nourri, et il en a fait couler le sang avec le lait ; de douleur et d'effroi, la nourrice a gémi : ce monstre affreux, par elle-même allaité, est le présage de sa mort. Je serai le serpent, je la tuerai, je vérifierai le songe. Toi-même ne l'interprètes-tu pas ainsi ?

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