Mission non accomplie

Il devait être environ minuit lorsque j'ai été réveillé par le charabia aquatique de Luc. Il baragouinait avec un quelconque triton de sa connaissance. Je me suis levé pour aller aux toilettes et, en passant devant la chambre de Maman, j'ai remarqué que la porte bâillait. Je suis entré pour m'assurer que tout était normal. Une lune anesthésique se pressait à la fenêtre, couvrant Maman d'un édredon supplémentaire. J'allais ressortir lorsqu'un détail a accroché mon regard: au pied du lit, le plancher miroitait. Les lattes étaient mouillées. Il y avait même des flaques. Des traces de pas. Hérissé, je me suis tourné vers le coin le plus sombre de la pièce, où se tenait Papa.

Il était terriblement réel dans sa combinaison de Ski-doo, avec cette neige fondue qui coulait de ses bottes. Du cratère volcanique de son cou s'élevait un souffle glacial qui formait en se condensant un visage fantomal. J'aurais aimé croire qu'il n'était là que pour rendre visite à ma mère, mais en voyant ses mains se tendre vers moi, j'ai su qu'il venait chercher sa tête.

— Je ne l'ai pas trouvée, ai-je fait d'une voix éteinte. Nous avons fouillé partout mais elle n'était pas là.

Je cherchais une excuse, une explication. Je voulais que le spectre sache bien que ce n'était pas ma faute, mais ses mains restaient brandies, exigeantes, et de ses doigts irradiaient des ondes froides qui me nouaient le ventre. Il s'est ébranlé. Il s'avançait, faisant craquer le parquet sous son fantastique poids d'ombre, et ce n'était plus pour implorer qu'il tendait les mains, mais pour réclamer. J'étais raide comme une barre, incapable de m'enfuir tandis que les mains s'allongeaient pour m'attraper et qu'une chaude couleuvre glissait le long de ma jambe, s'échappait par le bas de mon pyjama...

Je me suis retrouvé dans mon lit, avec Luc qui étouffait mes cris. Il m'a expliqué que c'était un cauchemar et ordonné de me taire avant d'alerter toute la maisonnée. Je suis parvenu à me dominer malgré le grouillement des ténèbres environnantes. Mes draps étaient souillés d'urine, mais de toute façon il n'était plus question de dormir. Vite vêtus, nous nous sommes faufilés hors de la maison et nous avons gagné l'Anse afin de consulter l'iguane. Car le spectre reviendra la nuit prochaine, c'est certain. Et encore la nuit suivante, et l'autre après, et aussi longtemps qu'il faudra. Je n'ai pas le choix; je dois trouver le moyen de satisfaire son vœu.