Denis Thériault

L’iguane

Québec   2001

Genre de texte
roman

Contexte
Ne réussissant pas à trouver la tête de son père, le narrateur a fabriqué une tête dorée qu’il a placée dans le cercueil, en espérant que cela contentera le spectre.

Texte témoin
Denis Thériault, L’iguane, Montréal, collection Romanichels, 2001, p. 104.




Rêve allégorique

Une fausse tête dorée

J'ai rêvé d'un soleil énorme qui se levait sur le Kilomètre 54. Papa se tenait sur la voie dans cette aurore sanglante. Sur ses épaules scintillait la tête d'or, et j'ai su que l'offrande était acceptée car il souriait. Je suis allé à lui. Il m'a accueilli et pressé dans sa puissante chaleur. Il a déposé sur mon front un baiser, puis s'est retourné et s'est mis en marche car le soleil l'attendait. J'aurais voulu le retenir, ou l'accompagner, mais je savais que je ne devais pas. Le soleil s'est fendu comme une plaie pour l'accueillir. S'y ouvrait un immense tunnel au bout duquel pulsaient des fulgurances écarlates. Arborant avec fierté sa nouvelle tête d'or, Papa a enjambé l'horizon et s'est enfoncé dans les entrailles de l'astre creux. Et tandis que le Kilomètre 54 accusait le choc de cette aube nucléaire, des milliers de corneilles se sont envolées, s'égaillant dans tous les azimuts. Je me suis réveillé en pleurant et je suis sorti sous le visage compatissant du haut arbitre de l'azur. Luc est venu me trouver au bord de l'eau. J'étais incapable de parler mais il n'avait pas besoin qu'on lui explique; il savait que la quête de la tête était achevée et qu'au bout des larmes résidait ma guérison.

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