Montesquieu
Correspondance 1716-1755 Genre de texte Contexte Texte témoin
correspondance
Montesquieu écrit à une jeune dame nommée Iris qui est sur le point de se marier avec un prince. La jeune femme semble ne pas vouloir se marier et Montesquieu lui explique que le mariage tue l’amour et le désir.
Édité par F. Gebelin et A. Morize, Paris, Champion, 1914, p. 62-63.
Plaisirs de la séduction
Montesquieu Ă Mlle. 1724.
Mademoiselle, je ne me trouvais point dans cet état où les rimes se présentent en foule pour tenter les poètes. Après vous avoir quittée hier au soir, je voulus vous obéir, et faire des vers en votre honneur : mais il faut vous avouer que je n’en pus jamais venir à bout. Enfin je m’endormis, et je ne puis m’empêcher de vous faire part du songe que je fis.
Je crus voir l’amour dans l’état du monde le plus pitoyable. C’était à Cythère. Il vous appela mille fois, et vous ne répondîtes pas : les larmes lui vinrent aux yeux; j’avais presque pitié de lui. Enfin, il se mit à vous chercher. Il courut de tous les côtés, dans les lieux les plus écartés; il reconnut enfin vos traces; princesse, il ne s’y trompa pas quand il vit les jeux et les grâces qui marchent toujours sur vos pas. Il vous embrassa tendrement, et, vous souriant doucement : « je vous aime plus que ma mère : cependant vous fuyez mes pas! Sans moi que prétendez-vous faire de tant de célestes appas?» Je vis que, promenant sa main, il badina sur votre sein; mille baisers le parcoururent; il aurait descendu plus bas, mais mille grâces accoururent qui lui retirèrent le bras. «Ce beau sein que j’ai fait exprès, je vais le percer de mes traits, dit pour lors amour en colère, et bientôt, quoi que vous fassiez, je verrai le reste, ma mère, en dépit que vous en ayez...» Dans ce moment, je vis finir le plus joli songe qu’un mortel ait jamais eu; je n’ai jamais été si fâché, mais, à présent que je ne rêve plus, je vais, princesse, vous parler raison.