Lucain

La Pharsale

Rome   65

Genre de texte
Épopée

Contexte
Pompée, qui a obtenu les pleins pouvoirs du Sénat en -52, somme César d’abandonner son armée et de rentrer à Rome. Ce dernier franchit le Rubicon, ce qui déclenche la guerre civile.

Julie, fille de César, a été la première épouse de Pompée. Elle apparaît à Pompée alors que celui-ci, engagé dans les luttes fratricides d’une guerre civile, court à sa perte. Après des remontrances sur la situation politique, elle donne libre cours à sa jalousie de femme oubliée en faveur d’une autre. Elle sait qu’elle retrouvera Pompée après sa mort. «Julie éprouve pour l’être aimé une passion vampirique.» (J. Bouquet, 84).

Notes
L’Achéron est le fleuve qui sépare la terre des Enfers. Pour le traverser, les morts doivent attendre qu’un nocher les transporte dans sa barque.

Le Léthé est un fleuve des Enfers, dont les eaux apportaient l’oubli, mais celles-ci ont été sans effet sur Julie, tant est puissant le ressentiment de la jalousie.

Les Champs-Élysées sont une sorte de paradis.

«Le rôle du rêve est double ici: il contribue à envelopper les débuts de la guerre d’une atmosphère funeste en faisant ressortir l’impiété des combats qui se préparent; il éclaire par ailleurs les profondeurs de l’âme de Pompée dont le rêve trahit la mauvaise conscience d’époux et de citoyen» (J. Bouquet, 86).

Texte original

Texte témoin
Lucain, La Pharsale, 3, 1-39. Texte et traduction extraits de Itineraria electronica.

Bibliographie
Jean Bouquet, Le songe dans l’épopée latine d’Ennius à Claudien, Bruxelles, Labor, 2001.




Songe de Pompée

Le fantôme de sa première épouse

Tandis que l’Auster enflait la voile et poussait la flotte vers la pleine mer, tous les yeux étaient tournés du côté de la mer d’Ionie ; Pompée seul ne put détacher ses regards du rivage de l’Italie. Il voit s’évanouir les ports de la patrie, les côtes qu’il salue pour la dernière fois et les montagnes qui s’effacent au sein des nuages. Épuisé de fatigues, le héros enfin succombe, et se livre au sommeil.

Alors une image pleine d’horreur se présente à ses yeux. La pâle Julie sort du sein béant de ta terre, et telle qu’une furie, lui apparaît debout sur son bûcher:

«Chassée de l’Élysée dans le Tartare, la guerre civile m’a bannie de l’asile des âmes justes au noir séjour des mânes criminels. J’ai vu les Euménides s’armer de torches pour les secouer sur vos armes. Le nocher du brûlant Achéron prépare des barques sans nombre. On agrandit les cachots des enfers. Les Furies suffisent à peine à châtier tant de criminels: les mains des Parques se lassent à trancher les jours de tant de victimes. Il t’en souvient, Pompée ; le temps de notre hymen a été celui de tes triomphes. Tu as changé de fortune en changeant d’épouse. Elle est née pour le malheur de tous ses maris, cette Cornélie, femme sans pudeur qui n’a pas rougi d’entrer dans mon lit, quand mon bûcher fumait encore. Qu’elle soit donc sans cesse attachée à tes pas, et sur les mers et dans les camps, pourvu que je trouble ton sommeil auprès d’elle et que je dérobe à ton amour tous les moments que tu lui destines. Que César occupe tes jours et Julie tes nuits. Le Léthé qui donne l’oubli ne t’a point effacé de ma mémoire. Les dieux des enfers m’ont permis de te poursuivre. Tu me verras, au signal du combat, m’élancer entre les deux armées. Mon ombre ne souffrira jamais que tu cesses d’être le gendre de César. Tu crois en vain trancher avec l’épée des nœuds sacrés ; la guerre civile va te rendre à moi.»

À ces mots l’ombre se dérobe aux embrassements de son époux tremblant. Il s’éveille. Les menaces du ciel et des enfers, loin de l’abattre, l’élèvent au-dessus de lui-même. Il voit sa perte, et il y court. «Pourquoi, dit-il, m’effrayer d’un vain songe?»

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