Silius Italicus

Les Guerres puniques

Rome   90

Genre de texte
Épopée

Contexte
Hannibal fait ce rêve quand il est à Sagonte, près de Valencia, en Espagne. À la suite de ce rêve, il partira à la conquête de l’Italie et traversera les Alpes avec ses éléphants, attaquant les Romains par surprise.

Notes
J. Bouquet signale que ce rêve est attesté également par Cicéron dans De divinatione (1, 49), ainsi que par Tite-Live (21, 22, 6-9), Valère Maxime (1, 7. Voir fiche 869) et Zonaras (8, 22). Les détails varient d’une version à l’autre, mais la réalité du songe semble bien attestée.

Le songe aurait été envoyé par Jupiter, qui veut mettre à l’épreuve le courage des Romains, son peuple choisi. Hannibal est assimilé à une force négative, dévastatrice.

Texte original

Texte témoin
Silius Italicus, Les Guerres puniques, 3, 167-215. Texte et traduction extraits de Itineraria electronica.

Bibliographie
Jean Bouquet, Le songe dans l’épopée latine d’Ennius à Claudien, Bruxelles, Labor, 2001.




Le grand rêve d’Hannibal

Visions de guerre

Déjà Mercure avait traversé dans son vol rapide les ténèbres humides de la nuit, et apportait sur la terre les ordres du père des dieux. Soudain il s’adresse au héros, qui réparait ses forces dans un sommeil paisible, et l’aiguillonne de ces reproches amers.

«Chef des Libyens, il est honteux à un général de dormir toute une nuit. La vigilance seule assure à celui qui commande le succès des armes. Tu vas voir les Latins troubler toutes les mers couvertes de leurs vaisseaux; leur jeunesse s’y précipite en foule, tandis que la mollesse enchaîne tes projets sur la terre d’Ibérie. Est-ce donc assez pour ta gloire, est-ce assez pour immortaliser ta valeur, d’avoir renversé Sagonte par un si grand effort? Allons, si ton âme peut concevoir de grands et audacieux desseins, hâte-toi de voler sur mes pas et de me suivre où je t’appelle. Je te défends de regarder en arrière: telle est la volonté du maître des dieux. Je vais te transporter vainqueur devant les murs de la superbe Rome».

Déjà Mercure semblait lui saisir la main et l’entraîner en Italie à pas précipités. Annibal le suivait avec joie. Un noir dragon, aux écailles résonnantes, se roulait en anneaux terribles, arrachant les forêts du sommet des montagnes, brisant les chênes dans ses immenses replis, entraînant les quartiers de roche dans les précipices. Le monstre est aussi grand que celui qui s’approche, en tournant, des deux Ourses, et dont la marche sinueuse embrasse ces deux constellations inégales. Dans sa rage, il ouvre une aussi effroyable gueule et sa tête s’élève jusqu’à la cime orageuse des montagnes. Le ciel déchiré répète au loin de sinistres murmures et laisse tomber une eau glacée mêlée de grêle. Annibal est effrayé de cette vision extraordinaire: son sommeil était alors léger, et la nuit, penchant vers son déclin, était éclairée à demi d’une lumière émanée du dieu dont la verge dissipe les ténèbres: le héros se demande quel est ce monstre; où il traîne le corps énorme dont il presse la terre, et quels peuples il semble menacer d’engloutir.

Le dieu élevé dans les antres frais du bienveillant Cyllène lui répondit: «Tu vois la guerre que tu as appelée de tes vœux, la guerre la plus sanglante. Le ravage des forêts, les tempêtes qui troublèrent le ciel ébranlé, le carnage des peuples, la ruine effroyable de la nation romaine: le deuil et les larmes accompagneront tes pas. Tel tu vois ce monstre aux anneaux livides précipiter dans la plaine, du haut des montagnes, les forêts déracinées, et abreuver au loin la terre de son fiel écumant; tel tu descendras en furie des Alpes vaincues, et tu envelopperas l’Italie dans une guerre funeste, renversant avec autant de fracas les villes démantelées».

À ces mots, Mercure, et avec lui le Sommeil, abandonnent le héros à ses agitations. Une sueur froide coule sur tous ses membres: avec une joie mêlée de crainte, il se retrace le songe et ses promesses, et revient sur les prodiges de la nuit.

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