Pascal Quignard

La frontière

France   2003

Genre de texte
Roman

Contexte
Le mari de Mme d’Oeiras a été lâchement assassiné par M. de Jaume, qui convoitait sa femme. Une fois son forfait accompli, ce dernier réussit à gagner la confiance de la veuve éplorée.

L’apparition reproduit fidèlement les circonstances qui ont accompagné sa mort.

Texte témoin
La frontière, Paris, Chandeigne, 2003, p. 47-49.




Le premier rêve de Mme d’Oeiras

La tête de son défunt mari

CHAPITRE XII

Un soir que Madame d'Oeiras s'était endormie tout à coup, la tête dans ses genoux, la main posée sur le médaillon d'ivoire qui représentait le profil de son mari défunt, elle eut un songe. L'ombre de son époux lui apparut devant les yeux. Elle le découvrit avec son manteau déchiré, son entrejambe en sang, son gant à la main, son visage plus âgé et sanglant, la joue ouverte au point que Madame d'Oeiras eut l'impression que Monsieur d'Oeiras avait deux bouches sur sa figure, et quatre lèvres qui parlaient. Les mains salies, il se tirait comme il pouvait sur la terre, agrippant des racines, s'efforçant de sortir de l'ombre d'un taillis.

Il prononçait son nom en gémissant. Elle en fut effrayée. Au réveil, elle fit appeler Monsieur de Jaume et lui confia son rêve, le pressant de questions sur l'interprétation qu'il fallait lui donner. Il la consola. Il lui fit valoir que de même que l'eau versée ne pouvait se ramasser, celui qui était parti ne pouvait revenir. S'il pouvait en juger par lui-même, lui dit-il, l'apparition de son rêve n'était revenue que pour lui dire adieu.

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