Maurice Henrie

Une ville lointaine

Ontario   2001

Genre de texte
roman

Contexte
Le passage se situe vers le milieu du roman. Après le départ subit de son mari Antoine Désabrais pour une ville inconnue et lointaine, Odette attend son retour avec inquiétude. On lui a révélé que les gens qui se rendaient à Escanaba en revenaient rarement. Il semblerait aussi que ces voyageurs prennent le train pour s’y rendre. Cette idée occupe tout l’esprit d’Odette et elle s’endort, épuisée, avec l’espoir de retrouver son Antoine. Par ailleurs, sa fille Mélanie qui avait aussi fait une fugue est de retour, mais son état l’inquiète.

Notes
Escanaba : une ville imaginaire.

Édition originale
Une ville lointaine, Québec, L’instant même, 2001, p. 98-100.




2e rêve d’Odette

La course folle

Elle redescendit au salon. Aussitôt assise, elle s’abandonna à la crise de larmes à laquelle elle avait résisté depuis le départ d’Antoine. Elle n’arrivait plus à supporter cette solitude remplie de questions sans réponses, ni à contenir ce qui se déchaînait en elle.
Bien sûr, le retour de Mélanie lui offrait un répit appréciable. Sa fille était aussi la cause d’une nouvelle conscience qui émergeait en elle. Une nouvelle urgence. Elle devait cesser de simplement attendre que quelque chose arrive. Quelque chose qui n’arriverait peut-être jamais.
C’est à ce moment qu’elle aperçut Antoine. Par la fenêtre du wagon panoramique immobile sur la voie ferrée, il lui souriait de toutes ses dents, en lui faisant des signes d’amour. Elle n’hésita pas un instant et se mit à marcher à grands pas dans sa direction, en se demandant pourquoi, de son côté, il ne quittait pas le wagon pour venir à sa rencontre. Le train démarra, d’un mouvement d’abord imperceptible, puis à vitesse réduite. Odette s’élança vers Antoine, qui se mit à l’encourager de ses cris et à faire le geste de la prendre dans ses bras. Elle courut encore plus vite, aussi vite que le lui permettaient ses forces, dans l’espoir de rattraper le train et, d’un bond agile, de sauter sur la dernière marche du petit escalier en métal donnant accès au dernier wagon. Si elle y arrivait, elle pourrait ensuite, en passant d’un wagon à l’autre, rejoindre Antoine dans son wagon panoramique. Là, elle lui parlerait enfin, elle lui dirait à quel point il lui avait manqué durant sa longue absence.
Le train continuait d’accélérer doucement, si bien qu’Odette ne gagnait plus sur lui, qu’elle perdait du terrain. Elle redoubla ses efforts. En vain. Le train la distançait peu à peu. Elle n’atteindrait jamais le wagon panoramique, ni le tout dernier wagon au petit escalier métallique.
Voyant que sa course était inutile, Odette ralentit et se remit à marcher, avant de s’arrêter tout à fait. Hors d’haleine, elle continua de fixer des yeux les derniers wagons, qui s’enfuyaient maintenant à toute allure. Elle eut le temps d’apercevoir Antoine qui, la moitié du corps sortie par la fenêtre du wagon panoramique, lui tendait encore les bras. Lui non plus ne pouvait rien contre la force et la vitesse du train. Lui non plus n’arrivait pas à résister au destin aveugle qui lui imposait de partir, abandonnant sur la voie ferrée Odette noyée dans les larmes.
En un rien de temps, le train avait disparu, emportant avec lui Antoine. Odette se retrouva seule, les poumons en feu, accablée par les halètements, cherchant à retrouver son souffle et n’y parvenant qu’à peine. Elle jeta autour d’elle un coup d’œil circulaire pour reconnaître les lieux. Le jour baissait. Déjà l’obscurité se glissait entre les hauts buissons qui bordaient la voie. Elle entendit un hurlement tout près. Un chien errant, un coyote peut-être.
Elle entendit aussi des pas derrière elle. En se retournant, elle vit une ombre qui, surgie de nulle part, s’enfuyait à toutes jambes sur la voie ferrée. Une ombre silencieuse et blanchâtre qu’elle crut pourtant reconnaître.
« Mélanie! Mélanie! Réponds-moi! »
L’ombre diaphane disparut bientôt dans la brunante. Odette entendit de nouveau un chien errant, qui était peut-être plutôt un coyote. Un de ces petits coyotes gris et jaunes qui abondaient dans la région.
Le téléphone qui sonnait réveilla Odette. Avant d’y répondre, elle tenta de calmer le petit berger allemand de Francis qui, depuis quelques instants, glapissait près du divan.

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