Robert-Martin Lesuire

L’aventurier Francois

France   1782

Genre de texte
roman

Contexte
Le rêve se situe dans le sixième et avant-dernier livre du roman.

Un jeune moine amoureux de Julie, religieuse enfermée dans un couvent, se déguise en jeune fille pour la rejoindre incognito. Mais une amie de Julie, Mademoiselle de Mirville, vient rejoindre dans son lit celui qu’elle croit être une fille.

Texte original

Texte témoin
L’aventurier Francois ou Mémoires de Grégoire Merveil. Londres, Paris, Quillau, 1782, p. 209-210. BNF, Gallica.




Rêves d’un amant 1

Double équivoque

Mademoiselle De Mirville me retient, et me ramène au lit. Je lui fis alors sentir avec la plus grande force, l’inconvénient qui résultait du partage de mon lit, dont je l’aurais volontiers dispensée ; je lui fis promettre de n’y plus revenir ; je lui donnai un baiser, et elle s’endormit. Pour moi, il ne me fut pas possible de fermer l’oeil ; j’avais l’âme en désordre, et le corps tout en feu. […] Je témoignai de la froideur à Mademoiselle De Mirville, pour l’empêcher de venir m’embarrasser dans mon lit. Loin de la fâcher, je la trouvai humble et tendre; elle ne faisait que me demander pardon, elle n’osait plus approcher ses lèvres de mon visage, elle se contentait de me baiser les mains, et je ne pouvais m’empêcher d’être attendri. Dans l’agitation que me causaient tant de scènes bizarres, et dans la crainte d’être surpris au lit par Mademoiselle De Mirville, je passai plusieurs nuits sans fermer l’œil.

À la fin la nature l’emporta, et je m’endormis d’un profond sommeil. Je me sentais égaré dans les songes les plus flatteurs, il me semblait que j’étais dans les bras de ma Julie, accablé de ses caresses; j’étais dans ceux de sa rivale. Cette fille ardente avait profité de mon sommeil pour me surprendre : elle m’embrassait avec son innocence ordinaire; mon tempérament agissait malgré mon assoupissement. Elle s’aperçoit de mon sexe, s’écrie : «ah malheureux!» et saute hors de mon lit.

Je m’éveille, je la vois furieuse, j’en devine la raison. Je tombe à ses genoux : « ma vie est dans vos mains, lui dis-je, mademoiselle, vous savez si j’ai manqué au respect que je vous dois. Vous savez si, malgré vos charmes trop puissants, je n’ai pas eu la force et la sagesse de me dérober, autant qu’il a été possible, à des bontés que l’ignorance de mon sexe vous faisait me prodiguer. Si vous vous croyez outragée, mademoiselle, vengez-vous. Percez ce cÅ“ur que vous avez aimé; je baiserai votre belle main en mourant par vos coups. »

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