Carl Gustav Jung

Métamorphoses de l’Âme et ses Symboles

Suisse   1953

Genre de texte
Psychologie

Contexte
Jung rapporte ce témoignage dans la Première partie – Chapitre III : “Les Antécédents” (l’extrait qui suit et la note se trouvent à l’incipit du chapitre).

Texte témoin
Métamorphoses de l’Âme et ses Symboles: analyse des prodromes d'une schizophrénie... [Symbole der Wandlung.] Préface et traduction de Yves Le Lay, Genève, Librairie de l'Université, 1953, p. 88-89.




Un rêve de Nietzsche

Le crapaud

Une expérience très variée nous a appris que, quand un homme raconte ses propres fantaisies ou ses rêves, il parle toujours, ce faisant, non seulement de problèmes pressants, mais du problème momentanément le plus pénible de son intimité (1).

Note (1) : En voici un exemple tiré de l’ouvrage de C.-A. Bernouilli : Franz Overbeck et Frédéric Nietzsche. Une amitié, 1908, T. I, p; 72. B. décrit le comportement de Nietzsche dans la société bâloise.
«Un jour il raconta à sa voisine de table : “J’ai récemment rêvé que ma main, qui était posée devant moi sur la table, acquit soudain la transparence du verre ; je voyais nettement en elle le squelette, le tissu, le jeu et les muscles. Tout à coup j’aperçus sur elle un gros crapaud, en même temps que quelque chose d’irrésistible me poussait à avaler l’animal. Je surmontai mon atroce répulsion et je l’avalai.” La jeune femme se mit à rire. “Vous en riez ?” demanda Nietzsche avec un épouvantable sérieux, en même temps que ses yeux profonds fixaient sa voisine mi-interrogateurs, mi-attristés. Alors celle-ci soupçonna, si elle ne le comprit pas tout à fait, qu’un oracle avait parlé sous forme de parabole et que Nietzsche lui avait permis de regarder par une étroite fente jusqu’au fond du sombre abîme de son intimité.»

P.166, B. ajoute : «Peut-être comprit-on aussi que la parfaite correction de sa toilette provenait moins d’une innocente complaisance envers soi-même mais qu’en elle s’exprimait la peur de souillure née d’un secret dégoût qui le tourmentait.»

On sait que Nietzsche vint très jeune à Bâle. Il était alors à l’âge où précisément d’autres jeunes gens songent à se marier. Il était assis auprès d’une jeune femme à qui il racontait que quelque chose de terrible et de dégoûtant était arrivé à son membre transparent, qu’il avait été contraint de l’absorber entièrement dans son corps. On sait quelle maladie mit une fin prématurée à la vie de Nietzsche. C’est précisément cela qu’il avait à communiquer à la jeune dame dont le rire était vraiment déplacé.

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