Rodolphe Toepffer

Les Nouvelles Genevoises

France   1839

Genre de texte
prose

Contexte
Le récit de rêve se situe au milieu de la deuxième nouvelle du recueil, intitulée « La Bibliothèque de mon oncle ».

Un jeune étudiant nommé Jules va passer ses vacances chez son oncle. Un jour, il rencontre une jeune femme juive venue emprunter un livre à son oncle. Fasciné par elle, il tente de l'épier, mais chute de son échafaudage. Son oncle le force à s'étendre, il s'endort, fait ce rêve et se fait réveiller par son oncle.

Texte témoin
« La Bibliothèque de mon oncle », Paris, Charpentier, 1846, pages 151-152.




Le rêve d’un jeune étudiant

Les transformations d’un visage

Il était environ minuit. Je restais seul avec mes idées, où je me plongeais tout entier, lorsque le roulement de l’échelle me fit tressaillir, et peu après je m’endormis.

J’étais fort agité. Mille images sans rapport avec l’objet de mes pensées se croisaient, se succédaient devant mes yeux; ce n’était ni le sommeil ni la veille, encore moins le repos. Enfin à ce trouble succéda l’épuisement, et bientôt mes songes, quelque temps suspendus, revinrent et prirent une autre teinte.

Je rêvai qu’en un bois silencieux je marchais souffrant, mais pourtant calme, et l’âme pénétrée de je ne sais quel sentiment, tout plein d’un charme qui m’était inconnu. Personne d’abord, et rien de tout ce qui aurait pu me rappeler la vie ordinaire. C’était bien moi, mais doué de beauté, de grâce, de tous les avantages que je désire éveillé. Fatigué, je m’étais assis dans une clairière solitaire. Une figure s’était approchée que je ne connaissais pas, mais dont les traits étaient animés par l’expression d’une mélancolique bonté. Insensiblement elle avait pris un air qui m’était plus connu; ... enfin elle s’était trouvée ma chère juive. Elle aussi, douée de tout ce que je lui désire, paraissait se plaire à me considérer, et, quoiqu’elle ne parlât pas, son regard avait un langage qui me touchait au plus doux endroit de mon cœur. Je voyais sa belle tête s’incliner sur mon front, je sentais sa douce haleine, et à la fin sa main avait trouvé la mienne. Alors, une émotion croissante m’agitant, mon rêve peu à peu perdit sa quiétude. Les images devinrent flottantes et incertaines, et, de figure en figure, je ne vis plus que celle de mon oncle Tom qui avait pris ma main pour me tâter le pouls, et dont la tête, inclinée sur la mienne, me considérait au travers de ses besicles.

Oh! Que la figure de mon oncle Tom me parut affreuse en ce moment-là.

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