Carl Gustav Jung

Ma vie

Suisse   1961

Genre de texte
Mémoires

Contexte
Troublé par le rêve précédent, Jung se concentre davantage sur ses processus imaginaires. C’est alors que survient ce rêve des gisants qui bougent encore. Cela l’occupera longtemps et marquera un point tournant. Il écrit ainsi : «des rêves comme celui-là et l’expérience vivante, réelle de l’inconscient m’amenèrent à la conception que ces vestiges ne sont pas seulement des contenus morts, ni des formes usées de la vie, mais qu’ils font partie intégrante de la psyché vivante. Mes recherches ultérieures confirmèrent cette hypothèse à partir de laquelle, au fil des années, se développa ma théorie des archétypes.» (p. 201)

Commentaires
Transformation. L'inanimé devient vivant.

Texte témoin
Erinnerungen, Träume, Gedanken , Zürich und Stuttgart, 1961.

Ma vie, souvenirs, rêves et pensées. Traduit de l’allemand par Roland Cahen et Yves Lelay, Paris, Gallimard, 1966, p. 200-201.




Découverte des archétypes

Les gisants

À cette époque, l’une de ces imaginations, effrayante, me revint à plusieurs reprises : il y avait quelque chose de mort qui vivait encore. Par exemple, on plaçait des cadavres dans des fours crématoires, et l’on découvrait alors qu’ils montraient encore des signes de vie. Ces imaginations atteignirent à la fois leur point culminant et leur aboutissement dans un rêve.

J’étais dans une région qui me rappelait les Alyscamps près d’Arles. Il y a là une allée de sarcophages qui remonte à l’époque des Mérovingiens. Dans le rêve, je venais de la direction de la ville et voyais devant moi une allée semblable à celle des Alyscamps bordée de toute une rangée de tombes. C’étaient des socles surmontés de dalles de pierre sur lesquelles reposaient les morts. Ils gisaient là, revêtus de leurs costumes anciens, les mains jointes sur la poitrine, tels les chevaliers des vieilles chapelles mortuaires dans leurs armures, à la seule différence que dans mon rêve les morts n’étaient pas de pierre taillée, mais momifiés de singulière façon. Je m’arrêtai devant la première tombe et considérai le mort. C’était un personnage des années 1830. Intéressé, je regardai ses vêtements. Soudain, il se mit à bouger et revint à la vie. Ses mains se séparèrent, et je savais que cela n’avait lieu que parce que je le regardais. Avec un sentiment de malaise je continuai mon chemin et parvins à un autre mort qui appartenait au XVIIIe siècle. Là, il se produisit la même chose; alors que je le regardais, il redevint vivant et remua les mains. Je parcourus comme cela toute la file, jusqu’à ce que j’eusse atteint pour ainsi dire le XIIe siècle; le mort dont il s’agissait était un croisé qui reposait dans une cotte de mailles, et qui avait également les mains jointes. Son corps semblait sculpté dans du bois. Je le contemplai longuement, convaincu qu’il était réellement mort. Mais soudain, je vis que l’un des doigts de sa main gauche commençait doucement à s’animer.

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