Ahmadou Kourouma

Monnè, outrages et défis

Côte d'Ivoire   1990

Genre de texte
Roman

Contexte
Ce cauchemar survient au début du roman, juste après que Djigui Keïta ait signé avec Samory le pacte d’alliance qui les unit contre l’envahisseur blanc.

Désobéissant à Samory, empereur de tout le pays mandingue, le roi de Soba, Djigui Keïta, n’a pas rasé sa ville à l’arrivée des troupes coloniales dirigées par Faidherbe – sûr de ce que la magie des ancêtres, la protection d’Allah et la muraille édifiée à la hâte suffiraient à repousser les « Nazaréens »… Ceux-ci prennent donc Soba sans coup férir. Et voici que les griots chantent la gloire de Djigui, tout au long de ses cent vingt années de règne, tandis que le roi déchu, mais fidèle aux rudes traditions de sa dynastie, s’enfonce dans une collaboration de plus en plus meurtrière avec l’occupant.

Notes
Samory Touré (v. 1830-1900) : roi mandingue, il opposa au XIXe siècle l’une des plus farouches résistances militaires à la conquête française en Afrique.

Sofas : Soldats.

Sous les louanges adressées au roi de Soba, sous l’épopée tragique et dérisoire d’un peuple livré à la colonisation, perce la satire des États africains modernes livrés à leurs démons (amour de la gloriole, corruption, culte du parti unique, etc.), mais également un réquisitoire aussi drôle que violent contre ces conformismes qui, partout dans le monde, mènent parfois aux pires compromissions.

Texte témoin
Paris, Seuil, coll. « Points », 1992, p. 27.




Cauchemar du roi (1)

La colonisation

Samory honora Djigui des présents des hôtes de marque: deux chevaux blancs, trois belles vierges et dix-huit esclaves. Sur le chemin du retour, trois nuits successivement, Djigui fut réveillé par le même cauchemar. Il était l’Almamy, un homme seul, assis dans sa peau de prière, qui, chaque après-midi, obsédé par la crainte que le soleil du jour refusât de se coucher sur le Mandingue, ne réussissait à s’adresser au Tout-Puissant que protégé contre les hyènes et les charognards par des sofas cruels qui allumaient d’innombrables incendies et coupaient de nombreuses têtes.

C’est un rêve qui toute la vie lui reviendrait chaque fois qu’il se souviendrait de Samory. Les devins avaient expliqué qu’il signifiait que l’Afrique, un jour, ne verrait pas, pendant d’interminables saisons, de nuit tomber; parce que les larmes des déshérités et des désespérés ne peuvent être assez abondantes pour créer un fleuve ni leurs cris de douleur assez perçants pour éteindre des incendies.

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