Mère Marie-Sérafique de Gaillard

France   1682

Genre de texte
Témoignage

Contexte
La mère Gaillard a fait ces rêves à la suite de la mort du confesseur de son couvent. Ces songes confirment que celui-ci est mort en odeur de sainteté.

Notes
Ces songes se trouvent dans un document de la BNF cité par Jacques Le Brun. Celui-ci fait une analyse détaillée de chacun des six rêves survenus à la Mère Marie-Sérafique de Gaillard, dont nous reprenons l’essentiel ci-dessous :

Dans tous les rêves, c’est le confesseur défunt qui a l’initiative.

1. Le don d’un livre est un topos biblique que l’on trouve dans Ézéchiel II,9, Isaïe XXIX, 10-12 et l’Apocalypse V, 1-5. Dans tous ces cas, «le Livre est un objet scellé, sans message lisible», comme ici.

2. Il s’agit ici d’un geste de torture courante au XVIIe siècle, au moyen d’une corde à nœuds. «Ce qui est important dans le songe, ce ne sont pas des mots, mais un rapport entre le geste de torture, la douleur de la torturée et le sourire du tortionnaire. […] Au geste torturant, la victime répond par un Acte […] un acte d’abandon» (p. 32).

3. «Comme fréquemment dans les oracles, les visions ou la littérature populaire, l’ordre est paradoxal : on fait dire au héros le contraire de ce qu’il pense ou de ce que nous pensons, lui faisant reconnaître, dans un but d’épreuve ou d’initiation, ce qu’il ne peut reconnaître. L’intention est ici explicitée : pousser è l’obéissance aveugle.» (p. 33)

4. Ce rêve insiste sur le vœu d’obéissance.

5. «Il s’agit cette fois de réaliser une chose difficile, sinon impossible. On pense aux récits populaires qui mettent le héros à l’épreuve.»

6. «La série se clôt par un songe qui n’en est pas le terme aléatoire, mais par lequel la question que la série ne cesse de travailler, celle des rapports entre la souffrance, la mort et la jouissance, trouve sa réponse.»
Le confesseur est au Purgatoire. Il est donc dans la position de la victime. «La jouissance permise à la religieuse est celle qui naît de la croyance à la jouissance de l’autre, du défunt achevant ses paroles par un moi aussi de jouissance paradisiaque.»

Édition originale
Jacques Le Brun, «Rêves de religieuses. Le désir, la mort, le temps», Revue des sciences humaines, «Rêver en France au XVIIe siècle», tome 82, no 211, juillet-septembre 1988, p. 27-47.




Rêves d'une religieuse

Songes mystiques

Nous ne croyons pas hors de propos de coucher ici quelques songes mystiques ainsi intitulés par cette aimée Mère (qui comme Abeille mystique tirait son doux miel de toutes choses) faits après le décès de feu Monsieur notre Confesseur, qui avait pris grand soin de l'avancement et perfection de cette âme aimante, connaissant les dispositions et rares talents dont le Ciel l'a gratifiée. Voici sa même expression:

Premièrement il me donna un Livre où il y avait plusieurs belles choses de Dieu que je n'ai pu retenir.

Secondement il me prit la main droite et me serra le bras avec un lien où il y avait trois nœuds, qui enfonçant dans la chair me faisait grande douleur, et en me regardant en se souriant il me donnait à entendre que cette étreinte me serait bien sensible, et je fus soudain portée à faire un Acte d'abandon à tous les desseins de Dieu sur moi, lui disant pour cet effet: Je ne vous abandonne pas seulement le bras, mais les pieds et la tête; peu de temps après je reçus trois sujets de mortification bien sensibles.

Troisièmement, l'ayant aperçu je me jetai avec empressement à ses pieds, que j'embrassais tendrement, il s'inclina sur mon oreille, et me dit fort bas: Dites à notre Seigneur que vous êtes bien aise de m'avoir perdu, puisque tel a été son bon plaisir; ce que je fis à l'instant, et du depuis toutes les fois qu'il m'est venu dans l'esprit.

Quatrièmement il me reprit d'un manquement de promptitude à l'obéissance sur quelque chose qu'il m'ordonnait : je me jetai à ses pieds pour lui en demander pardon, mais il semblait me rebuter quoique suavement; ce qui me fit prendre résolution de ne faire jamais de manquement de promptitude à l'obéissance.

Cinquièmement, il me donna un Crucifix, me faisant connaître que j'en devais contretirer un semblable, et de commencer par la Croix: je me trouvai en peine ne sachant où prendre la matière, mais elle me fut donnée.

Sixièmement, me semblant qu'on l'avait tiré du Tombeau pour lui faire souffrir quelque peine desquelles je ressentais grande douleur, il me regarda en se souriant, et me dit: je suis dans un état que vous avez sujet d'être contente, et moi aussi.

Ne voilà pas, nos très honorées Sœurs, une Amante des plus fidèles et veillante, puisque même dans son sommeil elle fait des Actes si généreux, et ménage si avantageusement ce qui lui est mis en main; sa sainte habitude et attrait au divin Cantique lui pouvait bien faire dire: Je dors, mais mon cœur veille.

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