Anonyme

Le siège de Barbastre

France   1200

Genre de texte
Chanson de geste

Contexte
Chanson de geste de la fin du XIIe siècle ou du début du XIIIe appartenant au « grand cycle » de Guillaume d’Orange, et dans laquelle Beuves de Commarchis (un des frères de Guillaume) joue un rôle fondamental.

Le siège de Barbastre raconte la défaite des guerriers sarrasins qui s’efforcent de reconquérir la ville de Barbastre, en Aragon, tombée aux mains de Beuves de Commarchis et de ses fils Girart et Guielin. Le sentiment tendre qu’éprouvent certaines Sarrasines pour des guerriers chrétiens est un thème classique utilisé avec habileté par le narrateur. Le songe de Beuves de Commarchis (laisse XCIV), et aussi celui de la Sarrasine Almarinde (laisses CLIX et CLX) se rattachent à ce thème-là.

Rubion, le neveu de l’émir qui assiège Barbastre, décide de porter de l’aide à son oncle. Clarune aime Rubion et fait un songe dans lequel il est tué. Elle s’efforce donc de le convaincre de ne pas partir pour Barbastre. Rubion rejette cependant le conseil.

Texte original

Texte témoin
Édité par Bernard Guidot, Paris, Honoré-Champion éditeur (diffusion hors France : éditions Slatkine, Genève), 2000, vers 5038-5072.




Songe de Clarune

Un dragon venu d’Espagne

Laisse CXXXVIII

Il [Baudas] avait une fille d’une grande noblesse d’âme
Dont le nom était Clarune et qui était encore très jeune.
Il n’y eut plus belle dame dans toute la chrétienté.
Elle aimait Rubion depuis plus d’un an.
Elle était couchée dans un lit en cristal ciselé
Dont les quatre pieds sont en ivoire poli
Et portent, chacun, un aigle doré.
La couverture, en draps de soie brune, était très richement travaillée.
Les draps, en fine toile de lin, [et] plus blancs qu’une fleur de pré,
Étaient ornés d’un magnifique passement en or.
Là dort la jeune fille au corps joli et admiré.
Et elle fit un très mauvais songe.
[Elle songea qu’] elle voyait, dans l’air, venir d’Espagne un dragon
Dont la bouche jetait du feu et des flammes d’une grande clarté.
Plein d’arrogance, il venait au grand escalier de la salle,
Et il prenait Rubion armé sur son cheval.
Il incendia tout entier l’écu qu’il portait à son cou,
Le haubert doré, il le brisait avec ses griffes et ses dents,
[Et] il lui arrachait le cœur des flancs.
Elle se réveille pleine de peur, et elle pousse un soupir.
Le matin suivant, elle demande à Rubion de venir la voir.
Elle lui raconte son songe, et il l’écoute.
« Bon ami », dit-elle, « reste dans ce royaume.
Si tu vas à Barbastre, tu tomberas entre les mains des Français.
[N’oublie pas que] les Narbonnais sont vaillants et très arrogants. »
– « Belle amie », dit Rubion, « je vois bien que vous m’aimez.
Mais je ne crois ni en songes ni dans un tel malheur.
Demain matin, je partirai à l’aube.
Ma confiance en Mahomet et dans le pouvoir de celui-ci est tellement grande
Que certainement je serai capable de secourir mon oncle, l’émir. »
– « Seigneur », dit la jeune fille, « vous ferez cela contre ma volonté. »
Rubion se tourne, demande la permission de partir,
Et la jeune fille l’embrasse en pleurant.
Tout de suite Rubion commença ses préparatifs.
Le jour suivant, à l’aube, il se mit en route.

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