Philippe Jaccottet

Autres journées

Suisse   1987

Genre de texte
Journal

Contexte
Ce journal comprend des réflexions de l’auteur sur divers sujets, dont la littérature, rédigées de juillet 1980 à septembre 1984.

Le récit de rêve se situe sous l’entrée de mars 1981.


Degas, Danseuses, 1878, Coll. privée.

Texte témoin
Montpellier : Fata Morgana, 1987.




Montée de l’angoisse

Scènes de spectacle

Rêve parisien. Nous faisons la queue pour entrer au théâtre. La caisse semble se trouver au sommet d'un étroit escalier où se pressent des gens qui parlent beaucoup; comme on n'avance pas, impatient, je décide de monter. Ce faisant, je bouscule de très jeunes danseuses en costume de scène, ce qui ne m'est pas désagréable. J'accède enfin à une petite salle, à l'étage, où se trouve la caisse, et me dispute violemment avec le caissier, un homme d'un certain âge, insignifiant; je lui explique que j'accompagne de vieilles personnes, dont ma mère, nonagénaire. J'arrive à mes fins. J'aperçois alors, assis sur une chaise contre le mur de la pièce, un homme relativement jeune qui me sourit vaguement, je me rends compte que je le connais sans pouvoir retrouver son nom, ce qui m'embarrasse; probablement un écrivain, rencontré autrefois chez Gallimard.

A la sortie du spectacle (oublié), je le vois qui s'éloigne avec une amie, nous nous saluons; c'est sur une place très vaste, en pente ascendante, évoquant plutôt un de ces terrains vagues qu'avaient créés les bombardements pendant la guerre. Dès ce moment, l'angoisse s'insinue dans les scènes comme une eau. Il est très tard, je comprends que ce théâtre était très excentrique, il n'y a pas de taxis, les rues sont mal éclairées, les passants louches. Devant une façade, elle, violemment illuminée, traînent des bandes de jeunes gens équivoques; je suppose qu'il s'agit d'un cinéma porno ou d'un music-hall miteux. Ils paraissent très agressifs; je porte une serviette dont je ne voudrais à aucun prix me défaire. Plus loin, alors que tout devient de plus en plus sombre, et même sinistre, des gens semblent attendre un train. La panique me gagne. Je m’éveille au moment où un nain à l'allure de crapaud m'assaille aux jambes, tout gris dans l'obscurité grise de ces quartiers misérables.

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