Anonyme

La chanson du Chevalier au Cygne et de Godefroi de Bouillon

France   1356

Genre de texte
Chanson de geste

Contexte
Alors que le chevalier au Cygne séjourne à Bouillon, sa femme Béatrix met au monde une fille, Ydain. Un rêve leur annonce de nouveaux malheurs.

Notes
Le Chevalier au Cygne – Cette chanson de geste contient des éléments fabuleux et se rapproche du genre du conte par le motif de l’interdiction et de la transgression de l’interdit.

Élias, arrivé dans un bateau tiré par son frère cygne à la cour de l’empereur Othon, se bat en duel contre un duc saxon et obtient la main de la fille de la duchesse de Bouillon. Les Saxons le poursuivent pour se venger et Élias manque de perdre son épouse. La duchesse met au monde une fille, Ide (la future mère de Godefroi), mais elle perd son mari en lui demandant son nom (il lui avait interdit de le faire).

Texte original

Texte témoin
La chanson du Chevalier au cygne et de Godefroi de Bouillon, Édition de C. Hippeau, Genève : Slatkine Reprints, « Collection des poètes français du Moyen Âge IX », 1969 (réimpression des éditions de Caen et de Paris, 1852-1877), tome I, vers 5803-5856. Traduction : J. Dionne et Y. Lepage.

Bibliographie
Article de Suzanne Duparc-Quioc et Isabelle Weill, in Georges Grente (dir.), ‹i›Dictionnaire des Lettres françaises. Le Moyen âge. ‹/i› Édition entièrement revue et mise à jour sous la direction de Geneviève Hasenohr et Michel Zink, Paris : Fayard, 1992, p. 264-265.




Un rêve de bataille

L’invasion des Saxons

Le chevalier au Cygne, qui était très estimé, se reposait une nuit auprès de sa femme. Il fit un rêve merveilleux et épouvantable : de grands bois entouraient Bouillon. De l’un des bois sortaient en courant quatre lions et d’un autre, trois ours ayant l’allure de diables et deux dragons volants qui les mettaient en émoi. Après eux venaient des vautres et des lévriers : il lui semblait qu’ils étaient plus de trente mille. Ils cherchaient à dévaster ses châteaux et ses villes. Ils revenaient à Bouillon pour assiéger la ville et mettaient le feu aux églises et aux monastères. Le chevalier au Cygne en sortait, armé, sur un destrier rapide, accompagné de plus de trente mille hommes. Il frappait un des lions de son épée d’acier et en faisait voler la tête sans la moindre chance d’en réchapper. Les trois autres lions l’attaquaient de front : sa défense ne valait pas le montant d’un denier. Ils le faisaient culbuter malgré lui en bas de son cheval. Il pouvait voir beaucoup de ses hommes tués et déchirés en morceaux. Les ours et les lions voulaient le manger et les dragons volants cherchaient à lui arracher les yeux de la tête. La peur le réveilla.

La duchesse le prend alors dans ses bras et l’embrasse : « Seigneur, qu’avez-vous? Vous ne devez pas me le cacher. »
– Dame, je m’adresse à Dieu, afin qu’il puisse me conseiller et me préserver dans sa bonté de la mort et du danger. »

« Dame, dit le duc, écoutez-moi : j’ai fait un rêve merveilleux et épouvantable : autour de ce château il y avait des bois. De l’un des bois sortaient en courant quatre lions, suivis de trois ours et de deux dragons volants. Des vautres et des lévriers les suivaient : il me semblait qu’il y en avait plus de trente mille. Ils s’emparaient de tout ce pays par la force. Ils attaquaient violemment ce château de toutes parts. Je m’enfuyais sur mon cheval rapide, accompagné de cent vaillants chevaliers. Je frappais un des lions de mon épée tranchante, au point que la tête en volait sur l’herbe verdoyante. Les trois autres lions me serraient de si près que ma défense ne valait même pas le montant d’un besant. De force ils me jetaient à bas de mon cheval rapide. Tous mes hommes étaient tués et vaincus. Sur mille, à peine cent en réchappaient, qui s’enfuyaient en piquant des éperons. Ils nous suivaient jusqu’au château et les lions me talonnaient de si près qu’il s’en fallut de peu qu’ils ne me tuent. »

Quand la dame l’entend, elle pousse un profond soupir, puis répond : « Par Dieu le rédempteur, voilà qui annonce les traîtres Saxons, les lâches mécréants, qui aborderont ici sur des navires et des chalands. Ils conquerront ce royaume si vous ne le protégez pas. »

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