Marcel Raymond

Par delà les eaux sombres

Suisse   1975

Genre de texte
témoignage

Texte témoin
Lausanne : Éditions L’Age d’homme, 1975, p. 28-29.




Rêve d’un malade

Un bain de champagne

Les trains ne cessaient de passer tout près de moi. Je ne les voyais pas — bien que l’un d’eux m’eût frôlé dangereusement dans la nuit — mais je les entendais qui roulaient sans s’arrêter en direction de Milan. Nous étions en effet dans un pays à triple frontière, où la Suisse, l’Italie et la France se rejoignent. Je dis «nous» car mon fils et ma belle-fille m’accompagnaient. Ils prenaient la plupart de leurs repas chez des amis qui avaient travaillé pour leur maison de Provence. On me faisait manger seul, mais je me rappelle qu’un soir tous les morceaux me restèrent dans la gorge. Mes enfants avaient disparu et je me sentais affreusement isolé. La porte de la maison était pesante et l’escalier obscur. J’avais constamment sous les yeux quelques usines modernes à toit plat qui entouraient la gare et les premières pentes du Monte-Generoso, des pentes herbeuses, à demi-dénudées, avec de grands arbres et de-ci de-là un rocher. C’est alors que je me vis transporté dans une étrange ferme-château qui s’élevait au milieu d’un vaste domaine. Il y avait là des chèvres en quantité, un immense troupeau. A la tombée du jour, les bêtes défilaient devant moi sur un léger pont, une à une, et je les passais en revue. Puis je remontais au château avec un peu d’essoufflement. Insensiblement, le lac était devenu la mer. Mais je ne vis jamais ni le lac ni la mer. Je savais seulement que j’étais maintenant à l’extrême sud de l’Italie, dans une très petite ville, qui avait l’apparence tranquille et la propreté d’une cité scandinave, et qui semblait appartenir tout entière à un notable israélite se rattachant à une secte tout à fait ésotérique. J’étais son hôte. Pourquoi m’avait-il invité ? Sans doute parce qu’il me faisait confiance (il avait reçu chez lui, une autre année, Robert Junod). Il alla jusqu’à me demander de participer à un rite très mystérieux, qui équivalait un peu à un baptême. J’avoue que j’étais fort gêné. Mais comment se dérober ? C’est ainsi que je fus amené à me plonger par deux fois dans un bain de champagne. L’initiation avait lieu dans une salle étroite, voûtée, obscure. Malheureusement, le champagne n’était pas toujours à la bonne température, et je craignais d’attraper un refroidissement. Le lendemain, je fis mes adieux dans les formes.

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