Ling Mengchu

Spectacles curieux d’aujourd’hui et d’autrefois

Chine   1640

Genre de texte
conte

Contexte
Wu Yue est un jeune fonctionnaire qui loge dans une auberge de la capitale en attendant sa nomination. Pour passer le temps, il se lie avec la courtisane Xixi Ding. Mais il est tombé amoureux d’une femme qui habite en face de son auberge, la xianjun Zhao, femme mariée, dont le mari, qui est fonctionnaire, est en voyage. Après bien des refus, celle-ci le reçoit pour une brève rencontre. Wu en est encore bouleversé, même en présence de la courtisane Xixi.

Après ce rêve, Wu sera reçu jusqu’à la couche de la xianjun, mais ce sera pour être découvert par le mari de celle-ci, qui lui avait tendu un piège en vue de lui extorquer de l’argent. Le rêve figure donc l’obsession de Wu pour la xianjun et la conviction qu’il a de toucher au but, tout en préfigurant l’issue calamiteuse de l’affaire.

Notes
«Les nuages et la pluie» : expression courante pour désigner le rapport sexuel.

Texte témoin
«La xianjun Zhao fait hypocritement porter des mandarines» Chap. XXXVIII des Spectacles curieux d’aujourd’hui et d’autrefois, texte traduit, présenté et annoté par Rainier Lanselle, Paris, Gallimard, Collection de la Pléiade, 1996, p. 1560.




Le rêve de Wu Yue

Il croit embrasser l'autre

Wu Yue, pour lequel rien dans cette courtisane n'animait plus de transports, but néanmoins les quelques coupes qu'elle lui offrit, mais tandis qu'il la considérait, c'était aux grâces, si parfaites, de la xianjun qu'il songeait, et ce rapprochement ne lui rendait que trop sensible la douleur de leur privation. Mais il était chez celle-là, et non chez celle-ci, et puisqu'on l'y poussait, il se laissa entraîner au lit malgré qu'il en eût. Il en honora l'hôtesse, mais sans feu, ou plutôt en l'empruntant à l'autre, que son imagination lui représentait comme le véritable objet des soins qu'il rendait à la première. Lorsque les nuages et la pluie furent passés, il se sentit las, et le sommeil faillit le gagner. Mais au moment où il s'endormait il vit arriver dans la chambre le jeune serviteur des Zhao, qui lui dit: «Monsieur, ma maîtresse la xianjun désire vous entretenir». À ces mots notre homme se relève en toute hâte, se rhabille et le suit.
Le serviteur le conduisit droit aux appartements de sa maîtresse, où l'instructeur découvrit, allongée sur la couche, lui présentant dans toute leur nudité les appas d'une chair à la blancheur de neige, la xianjun Zhao, qui l'attendait. Poussé avec force par le laquais, il monta la rejoindre, et s'abandonnant à tous les transports de ses sens, il la monta, et s'allongeant sur elle: «Ah, ma chère xianjun, lui dit-il, vous me ferez mourir de plaisir!» Mais tandis que dans un mouvement vigoureux il donnait l'essor à son étreinte, le pied lui manqua, et il tomba au fond du lit, du côté de la muraille. La surprise le tira du sommeil, mais point assez pour lui montrer Xixi dormant à la place de la xianjun. Croyant encore que c'était cette dernière, il la monta derechef, à telle enseigne que pour le coup ce fut bien Xixi qui s'éveilla, et qui lui dit, étonnée d'être chevauchée de la sorte: «Qu'est ceci, vilain satyre! Qu'est-ce donc qui vous jette dans des états pareils?»
En entendant sa voix il s'éveilla tout à fait, se ressouvint qu'il se trouvait dans le lit, et sous le toit de Mlle Ding, et comprit alors qu'il n'avait fait qu'un rêve.

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