Ovide

Les Métamorphoses

Rome   5

Genre de texte
Poème

Contexte
Byblis est la fille du roi de Milet. Elle est amoureuse de son frère Caunus. L’interdit de l’inceste maintient chez elle un reste de pudeur, qui s’exprime durant le sommeil. Mais à la suite de ce rêve, Byblis s’y attarde et se le remémore à tel point qu’elle écrira ensuite à Caunus une lettre où elle s’offre à lui.

Notes
Nous avons ici le seul rêve réaliste des Métamorphoses.

Les résonances de ce rêve ne sont pas sans rappeler les propos de Platon sur l’immoralité du rêve (Voir la République, fiche 915). Comme on le voit ici, «le rêve n’est donc pas un simple miroir des sentiments du dormeur, il est aussi un moteur qui le pousse à l’action, en le révélant à lui-même.» (J. Bouquet, 79)

Texte original

Texte témoin
Les Métamorphoses , 9, 460-82. Texte et traduction extraits de Itineraria electronica.

Bibliographie
Jean Bouquet, Le songe dans l’épopée latine d’Ennius à Claudien, Bruxelles, Labor, 2001.




Rêves de Byblis

Le rêve est sans témoins

Elle n’attribue qu’à l’amitié trompeuse les tendres transports qu’elle éprouve. Mais insensiblement son amour croît et se révèle. C’est pour Caunus qu’elle se pare; elle désire trop de paraître belle à ses yeux. Si elle voit à ses côtés une beauté qui puisse l’emporter sur elle, soudain elle éprouve un déplaisir jaloux; mais la cause de ce déplaisir lui est encore inconnue. Elle ne forme aucun désir, et cependant un feu secret la dévore. Déjà elle aime à nommer Caunus son maître; elle hait les noms du sang qui les unit; et Caunus en l’appelant Byblis lui plaît davantage qu’en l’appelant sa sœur.

Toutefois, tandis qu’elle veille, elle n’ose souiller son âme de pensers criminels; mais pendant la nuit, alanguie dans le calme du sommeil, elle voit souvent l’objet de son amour; elle croit unir son corps à celui de son frère, et, bien qu’étendue endormie, elle rougit encore.

Le sommeil fuit enfin de sa couche: elle se tait longtemps. Elle cherche à se rappeler l’image qui séduisait ses sens, et dans le trouble qui l’agite, elle laisse éclater en ces mots ses douloureux ennuis: «Malheureuse Byblis! que me présagent ces trompeuses illusions de la nuit? pourquoi ces rêves que je craindrais de voir réalisés? Quelle que soit la beauté de Caunus, le désir est un crime. Caunus me plaît pourtant, et, s’il n’était mon frère, je pourrais l’aimer; il serait digne de moi. Pourquoi suis-je sa sœur! Ah! du moins, pourvu que ce dangereux délire, tant que je veille, ne trouble point ma raison, que le sommeil m’offre souvent ces illusions trop chères! Un songe est sans témoins mais il n’est pas sans volupté.

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