Stace

La Thébaïde

Rome   90

Genre de texte
Épopée

Contexte
Laïos est le père d’Œdipe, qui l’a tué sans savoir qui il était, sur le chemin de Thèbes. Étéocle est son petit-fils et il occupe le trône de Thèbes, qui devrait maintenant revenir à son frère Polynice. Le songe est commandé par les dieux, qui veulent perdre la ville de Thèbes. Il s’agit donc de convaincre Étéocle de ne pas céder le trône à son frère et de s’engager plutôt dans la guerre civile. Mercure est envoyé par Jupiter pour convaincre Laïos de livrer ce message.

Notes
De façon assez surprenante et qui mystifie les commentateurs, Laïos emprunte d’abord l’apparence du devin Tirésias, pour ensuite reprendre ses propres traits. La démarche est discutable au plan de la cohérence narrative, mais n’est pas incompatible avec la logique onirique. Elle permet aussi de jouer au maximum sur des visions d’horreur.

Texte témoin
Stace, La Thébaïde, 2, 89-127. Texte et traduction extraits de Itineraria electronica.

Bibliographie
Jean Bouquet, Le songe dans l’épopée latine d’Ennius à Claudien, Bruxelles, Labor, 2001.




Songe d’Étéocle

L’ombre de Laïos

C’est pendant cette nuit que Mercure, poussé par l’haleine silencieuse des zéphyrs, se glisse au chevet du lit où le roi thébain avait étendu ses membres sur les tapis moelleux de l’Assyrie. Ô cœurs des mortels ignorants de leur destin! ce roi mange, et il dort!...

Le vieillard alors exécute les ordres qu’il a reçus; et, afin de ne point paraître un vain songe de la nuit, il prend le visage ténébreux du vieux devin Tirésias, et sa voix, et ses vêtements bien connus; il conserve sa propre chevelure, la barbe blanche qui ombrage son menton, et sa pâleur; mais il couvre sa tête de la mitre sacerdotale, qui ne lui appartient pas, et d’où s’échappent les bandelettes sacrées, enlacées au vert feuillage de l’olivier; ensuite, du rameau qu’il tient à la main il touche la poitrine du roi, et lui fait entendre ces paroles des destins:

«Il n’est pas temps pour toi de dormir, de demeurer toute la nuit étendu sans songer à ton frère; en attendant, lâche que tu es, de grands événements s’accomplissent, de plus graves encore se préparent. Et toi, semblable au pilote qui, lorsque la mer est déjà bouleversée par les vents, s’endormirait sous le nuage, tu te reposes, oublieux de la guerre, et des flots que ton gouvernail sillonne. Déjà, fier d’un hymen récent, ton frère (la renommée l’a publié) prépare des forces pour t’arracher le trône, pour t’en défendre à jamais l’accès, et rêve une longue vieillesse dans un palais dont il soit seul le maître. Ce qui lui donne du courage, c’est Adraste, forcé par un oracle à devenir son beau-père; c’est Argos, qu’il reçoit pour dot; c’est encore Tydée, souillé du sang fraternel, et qui a fait avec lui un pacte de vie et de mort. De là vient son orgueil, et on lui promet ton exil, un exil éternel. Mais le père des Dieux a eu pitié de toi; il m’envoie du haut du ciel pour te dire: Garde Thèbes; et cet homme aveuglé par l’ambition, ce frère qui, à ta place, en ferait autant, chasse-le; il est avide de ta mort: ne souffre pas qu’il aille plus loin dans ses ténébreux desseins, ni qu’il impose le joug de Mycènes à la ville de Cadmus». Il dit, et en s’évanouissant (car déjà les chevaux du Soleil font pâlir les étoiles) il arrache de son front les guirlandes et les bandelettes, dit tout haut son nom, et se penche sur la couche où dort son cruel petit-fils; puis, mettant à nu sa gorge, qu’ouvrit le parricide, il l’arrose, endormi, du sang qui coule de sa blessure.

Le roi se réveille en sursaut; il étend ses membres, sort de sa couche, l’esprit obsédé de visions funèbres, et, secouant un sang imaginaire, chasse avec horreur le souvenir de son aïeul, et concentre toutes ses pensées sur son frère.

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